L?inspiration du large :
« Pour l?exil? volontaire, la solitude est le fruit d?une qu?te, la recherche d?un ailleurs id?al. Ils sont plus nombreux qu?on l?imagine ? quitter leur terre natale, leur horizon imm?diat pour l?inconnu. Si la plupart, que l?on rencontre au d?tour d?un mouillage insulaire, font ce choix dans l?anonymat le plus total, d?autres par leurs actions, leur renom ou les ?uvres qu?ils ont laiss?es sont devenus c?l?bres. Il en va ainsi de navigateurs assoiff?s d?ancrages insolites et lointains en Polyn?sie ou en G?orgie du Sud?: Alain Gerbault, Thor Heyerdahl, Bernard Moitessier, Tom Neale ou J?r?me Poncet?; d??crivains tels que Robert Louis Stevenson ou Jack London?; d?un ?auteur de chansons?, comme se d?finissait lui-m?me Jacques Brel, et d?artistes en qu?te de renouveau. Ils partent dans le sillage des romans de Melville, matelot d?serteur ?pris de la beaut? et de la sauvagerie des Marquises, sont d?authentiques aventuriers ou r?vent d?un ?paradis?, fuient une soci?t? qui ne leur convient plus. Tous ?criront des r?cits, des romans, des chansons, de la po?sie. Certains ne feront que passer, d?autres poseront leur sac ? terre pour longtemps, voire jusqu?? leur mort. Le petit cimeti?re d?Atuona abrite c?te ? c?te Brel et Gauguin, mais ?g?mir n?est pas de mise, aux Marquises??
Lorsque Gauguin, dont l?enfance a ?t? berc?e par les voyages et la vie au P?rou, la jeunesse par les circumnavigations comme pilotin ou matelot, r?ve, apr?s l?influence sur sa palette de son s?jour en Martinique, de partir loin, ? Madagascar peut-?tre, et finalement encore plus loin, ? Tahiti, il a tout juste 40 ans. Il tarde ? se faire reconna?tre dans le monde des arts et embarque ?pour ?tre tranquille, pour ?tre d?barrass? de l?influence de la civilisation?, des carcans intellectuels, et par attrait visc?ral pour les ?les. Il ?prouve le besoin de se ?retremper dans la nature vierge, de ne voir que des sauvages, de vivre leur vie?. Son premier s?jour, de 1891 ? 1893, marquera un tournant majeur dans son ?uvre?; et son retour, apr?s quelques ann?es ? Paris, ? Tahiti qu?il quitte en 1901 pour un ultime voyage ? bord de La Croix du Sud et pour vivre ? Hiva Oa dans les Marquises, se traduira, au-del? du caract?re ethnographique de ses peintures, par ?un dernier feu d?enthousiasme? b?n?fique ? son imagination, ?crit-il ? son ami Charles Morice, et par un pas en avant ph?nom?nal dans l?histoire de l?art moderne. Il faudra attendre sa mort et de nombreuses ann?es pour que ses pairs, la critique et le public le sacralisent. Qu?en aurait-il ?t? d?ailleurs si Victor Segalen, jeune m?decin de marine affect? en Polyn?sie, n?avait pas d?clar? dans son hommage ? Gauguin que ?nul voyageur d?sormais ne peut se vanter d?avoir pleinement vu le pays de ces ?les et les vivants de ces ?les, qui n?en a point re?u, des toiles de Gauguin, la r?v?lation et l?ex?g?se?.
Sans aller jusqu?aux antipodes, l??le est une source d?inspiration privil?gi?e pour beaucoup d?artistes. D?un Didier Squiban qui laisse filer ses doigts dans des improvisations prodigieuses sur son piano de Mol?ne, comme autant d??lots h?riss?s au-dessus des flots tumultueux, ? un Gabriel Yared qui prolonge des m?lodies alanguies, ?chos des bois d?Amour, des Soupirs, des Regrets de l??le-aux-Moines qu?il a fini par fuir, d?rang? par les effets Larsen d?une antenne toute-puissante?; d?un Alechinsky venu d?cliner en autant d?abstractions saisissantes les aiguilles de Port-Coton ? Belle-?le, sur les pas d?un Claude Monet qui quitta l??le un si?cle plus t?t avec trente-neuf tableaux sous le bras, bross?s en moins de trois mois dans la sauvagerie d?une mer expressive pour l?impressionniste qu?il ?tait, ? une Genevi?ve Asse qui nourrit son bleu de la transparence d?acier du golfe du Morbihan, flottement estamp? de l??me?; d?une Sarah Bernhardt, extravagante com?dienne errant dans les falaises dramatiques de la pointe des Poulains ? un Bernard Giraudeau, silencieux et discret lors d?un tournage dans la douceur d?une fin d??t? sur une ?le du golfe du Morbihan o? le demi-mot est de mise?: ils sont nombreux ? venir saisir qui la tranquillit?, qui la lumi?re, qui la beaut?, qui la force cr?atrice dans les ?les.
Et que dire des ?crivains qui y puisent leur inspiration?? Ils s?y installent, ?crivent l?, pas n?cessairement de la litt?rature insulaire, ou r?vent d??tre sur une ?le et la mettent au centre de leur ?uvre. Ce n?est ni pour la facilit? qu?ils viennent, car tout est un peu compliqu? sur une ?le, ni pour l?anonymat, car tout le monde vous y rep?re. Non. C?est pour la r?sonance que peut avoir la nature sur l?esprit cr?atif?; c?est parce que le temps s?arr?te, et avec lui tout sentiment de pression?; c?est parce que l?isolement est favorable ? l??uvre, que l??le est tout ? la fois terre, air, mer et lumi?re, et que la libert? n?y est entrav?e par aucune mode. »
Au rythme insulaire (p.?28-31)
Mille formes d?habitat (p.?46-51)
Extrait court
« Pour l?exil? volontaire, la solitude est le fruit d?une qu?te, la recherche d?un ailleurs id?al. Ils sont plus nombreux qu?on l?imagine ? quitter leur terre natale, leur horizon imm?diat pour l?inconnu. Si la plupart, que l?on rencontre au d?tour d?un mouillage insulaire, font ce choix dans l?anonymat le plus total, d?autres par leurs actions, leur renom ou les ?uvres qu?ils ont laiss?es sont devenus c?l?bres. Il en va ainsi de navigateurs assoiff?s d?ancrages insolites et lointains en Polyn?sie ou en G?orgie du Sud?: Alain Gerbault, Thor Heyerdahl, Bernard Moitessier, Tom Neale ou J?r?me Poncet?; d??crivains tels que Robert Louis Stevenson ou Jack London?; d?un ?auteur de chansons?, comme se d?finissait lui-m?me Jacques Brel, et d?artistes en qu?te de renouveau. Ils partent dans le sillage des romans de Melville, matelot d?serteur ?pris de la beaut? et de la sauvagerie des Marquises, sont d?authentiques aventuriers ou r?vent d?un ?paradis?, fuient une soci?t? qui ne leur convient plus. Tous ?criront des r?cits, des romans, des chansons, de la po?sie. Certains ne feront que passer, d?autres poseront leur sac ? terre pour longtemps, voire jusqu?? leur mort. Le petit cimeti?re d?Atuona abrite c?te ? c?te Brel et Gauguin, mais ?g?mir n?est pas de mise, aux Marquises??
Lorsque Gauguin, dont l?enfance a ?t? berc?e par les voyages et la vie au P?rou, la jeunesse par les circumnavigations comme pilotin ou matelot, r?ve, apr?s l?influence sur sa palette de son s?jour en Martinique, de partir loin, ? Madagascar peut-?tre, et finalement encore plus loin, ? Tahiti, il a tout juste 40 ans. Il tarde ? se faire reconna?tre dans le monde des arts et embarque ?pour ?tre tranquille, pour ?tre d?barrass? de l?influence de la civilisation?, des carcans intellectuels, et par attrait visc?ral pour les ?les. Il ?prouve le besoin de se ?retremper dans la nature vierge, de ne voir que des sauvages, de vivre leur vie?. Son premier s?jour, de 1891 ? 1893, marquera un tournant majeur dans son ?uvre?; et son retour, apr?s quelques ann?es ? Paris, ? Tahiti qu?il quitte en 1901 pour un ultime voyage ? bord de La Croix du Sud et pour vivre ? Hiva Oa dans les Marquises, se traduira, au-del? du caract?re ethnographique de ses peintures, par ?un dernier feu d?enthousiasme? b?n?fique ? son imagination, ?crit-il ? son ami Charles Morice, et par un pas en avant ph?nom?nal dans l?histoire de l?art moderne. Il faudra attendre sa mort et de nombreuses ann?es pour que ses pairs, la critique et le public le sacralisent. Qu?en aurait-il ?t? d?ailleurs si Victor Segalen, jeune m?decin de marine affect? en Polyn?sie, n?avait pas d?clar? dans son hommage ? Gauguin que ?nul voyageur d?sormais ne peut se vanter d?avoir pleinement vu le pays de ces ?les et les vivants de ces ?les, qui n?en a point re?u, des toiles de Gauguin, la r?v?lation et l?ex?g?se?.
Sans aller jusqu?aux antipodes, l??le est une source d?inspiration privil?gi?e pour beaucoup d?artistes. D?un Didier Squiban qui laisse filer ses doigts dans des improvisations prodigieuses sur son piano de Mol?ne, comme autant d??lots h?riss?s au-dessus des flots tumultueux, ? un Gabriel Yared qui prolonge des m?lodies alanguies, ?chos des bois d?Amour, des Soupirs, des Regrets de l??le-aux-Moines qu?il a fini par fuir, d?rang? par les effets Larsen d?une antenne toute-puissante?; d?un Alechinsky venu d?cliner en autant d?abstractions saisissantes les aiguilles de Port-Coton ? Belle-?le, sur les pas d?un Claude Monet qui quitta l??le un si?cle plus t?t avec trente-neuf tableaux sous le bras, bross?s en moins de trois mois dans la sauvagerie d?une mer expressive pour l?impressionniste qu?il ?tait, ? une Genevi?ve Asse qui nourrit son bleu de la transparence d?acier du golfe du Morbihan, flottement estamp? de l??me?; d?une Sarah Bernhardt, extravagante com?dienne errant dans les falaises dramatiques de la pointe des Poulains ? un Bernard Giraudeau, silencieux et discret lors d?un tournage dans la douceur d?une fin d??t? sur une ?le du golfe du Morbihan o? le demi-mot est de mise?: ils sont nombreux ? venir saisir qui la tranquillit?, qui la lumi?re, qui la beaut?, qui la force cr?atrice dans les ?les.
Et que dire des ?crivains qui y puisent leur inspiration?? Ils s?y installent, ?crivent l?, pas n?cessairement de la litt?rature insulaire, ou r?vent d??tre sur une ?le et la mettent au centre de leur ?uvre. Ce n?est ni pour la facilit? qu?ils viennent, car tout est un peu compliqu? sur une ?le, ni pour l?anonymat, car tout le monde vous y rep?re. Non. C?est pour la r?sonance que peut avoir la nature sur l?esprit cr?atif?; c?est parce que le temps s?arr?te, et avec lui tout sentiment de pression?; c?est parce que l?isolement est favorable ? l??uvre, que l??le est tout ? la fois terre, air, mer et lumi?re, et que la libert? n?y est entrav?e par aucune mode. »
(p.?65-69)
Au rythme insulaire (p.?28-31)
Mille formes d?habitat (p.?46-51)
Extrait court