Collection « Petite philosophie du voyage »
Mille formes d?habitat :
« L?habitat est un ?l?ment important de l?esth?tique d?une ?le. Il est souvent diff?rent de celui du continent, et cela n??tonne qu?? peine quand on conna?t les difficult?s d?acheminement des mat?riaux. Il se distingue aussi parfois de celui de l??le voisine, ce qui peut s?expliquer par la diversit? g?omorphologique?: telle ?le est de granit, sa voisine est de schiste?; telle de basalte, sa voisine de sable. Mais surtout, l?habitat est r?v?lateur de l??me du lieu, de son caract?re, de son histoire et de sa population. Une maison de caboteur a, au pignon, l?escalier sans rampe qui lui permettait de remiser les gr?ements sous le toit. Il conviendrait d?avoir le souci respectueux de ne pas fermer cet escalier lors d?une restauration ?ventuelle. La maison de pilote avec son toit ? quatre pans, imposante, affiche quant ? elle le rang social de son propri?taire. Les palmiers plant?s ? l?abri des murs de pierres ont ?t? rapport?s par les cap-horniers en mal de lest et de chargement au retour de leurs tours du monde ? la voile. Les toits de chaume, indices d?un foyer trop pauvre pour s?offrir des ardoises, tiennent chaud en hiver et maintiennent la fra?cheur en ?t?. Aujourd?hui on les voit se percer de Velux et autres baies vitr?es sur des ?les o? l?on ne moissonne plus depuis longtemps.
Ainsi, la petite maison de p?cheur au toit de chaume ou d?ardoise, nich?e avec quelques autres par ?lots au fond de sentiers escarp?s de l??le-aux-Moines, o? tout n?est que douceur, parfums et floraisons, c?toie sans heurt aucun la maison de capitaine aux ?ils-de-b?uf de granit et balcons de ferronnerie. Leurs habitants cohabitaient aux si?cles pass?s, sachant bien que les uns ne pouvaient subsister sans les autres. Aujourd?hui, p?cheurs et cap-horniers ne sont plus que dans les souvenirs, les livres et la m?moire collective. Dans leurs maisons sont venus s?installer ou viennent en vacances des citadins qui, comme autrefois, se c?toient et apprennent les uns des autres, cependant qu?un habitat plus standardis? qui perd de son charme se d?veloppe et nuit ? la singularit? des lieux.
? Ouessant, ? l?extr?me pointe de la Bretagne, les maisons aust?res avec leurs hautes fa?ades grises, leurs petites ouvertures et leurs deux chemin?es en pignon o? l?on br?lait faute d?arbres la lande et la tourbe, soufflent que la vie ?tait et reste rude sur cette ?le balay?e par les vents, cisel?e par les courants et les temp?tes. Dans la lande et les bruy?res paissent de rustiques moutons ? la laine ?paisse pour lutter contre la rigueur du climat. L??comus?e du Niou Huella donnerait envie de venir vivre l? la vie sans artifice aucun du Ouessantin.
Cette sp?cificit? de l?habitat se d?cline ? l?infini. De l?autre c?t? de l?oc?an Altlantique, ? Terre-de-Haut, dans l?archipel des Saintes en Guadeloupe, les simples frises de bois sous les toits de t?le des cases traditionnelles n?ont, si ce n?est la joie de vivre et les effluves ?pic?s qui s?en exhalent, rien ? voir avec les murs de briques rouges ou de pierres de taille des demeures de Gustavia, ? Saint-Barth?lemy, quelques milles seulement plus au nord, o? les rues portent les noms et le drapeau les couronnes du royaume de Su?de qui domina l??le au XVIIIe?si?cle. M?me la case traditionnelle du p?cheur de Corossol est d?un vert d?eau plus scandinave qu?antillais. Elle a pourtant ses racines dans la terre de ses anc?tres. Elle est construite autour d?un ga?ac, cet arbre dont on faisait autrefois les bateaux. Le p?re l?a plant? ? la naissance de son fils, le coupera ? son mariage, et l?ossature de la maison viendra s?arrimer sur ce tronc. Elle sera ensuite recouverte d?essentes, tuiles de bois dont on fera ?galement le toit. On pourrait presque dire qu?il y a plusieurs ?les dans cette ?le pourtant si petite. La plus visible et la plus ostentatoire est bien naturellement le paradis fiscal avec son ?carr? d?or? et les cohortes de paquebots qui s?y arr?tent quotidiennement. La plus r?elle est certainement ce rendez-vous intime de c?l?brit?s et de fortunes qui s?y cachent et s?y reconnaissent. Mais l??le est pour tous la douceur de vivre sous les aliz?s, la senteur du jasmin au lever du jour au-dessus de Marigot, les crissements d?oiseaux dans les palmes de l?arbre du voyageur, le clocher su?dois sur les hauts de Gustavia qui ?gr?ne l?histoire de ce lieu o? se sont attard?s nombre de conqu?rants, dont Barth?lemy, le fr?re de Christophe Colomb. C?est le sable de corail, la fr?gate qui indique au p?cheur les bancs de marlins bleus ou de dorades coryph?nes, sa femme qui tresse et coud le latanier selon la tradition ancestrale, et la rencontre de deux s?urs au d?tour d?un chemin. Elles sont n?es l?, ont r?colt? le sel ? genoux, vous offrent un petit verre de rhum qu?elles ont elles-m?mes ?arrang??, et descendent l?une ? Lorient le samedi, l?autre ? Gustavia le dimanche, suivre la messe et surtout ?couter les histoires qui se trament et se tissent sur l??le. Leur ?le unique, dans la dentelle de turquoise de la Cara?be, aux couleurs de l?hibiscus.
Le voyageur s?arr?terait-il aux ?les Lofoten, au nord de la Norv?ge, s?il n?y avait les petites maisons sur pilotis rouge de Falun, o? vivent les p?cheurs de cabillauds pendant les longs mois de l?hiver bor?al et qui, impr?gn?es encore de l?odeur du mat?riel de p?che, l?accueillent lorsque le soleil brille encore ? minuit?? S?journerait-il sur l??le allemande de Sylt, en mer du Nord, sans les longs toits de chaume qui riment avec le vent qui fait s?envoler les dunes et ployer les oyats?? Go?terait-il la pl?iade d??les grecques s?il ne trouvait asile contre la chaleur br?lante dans les monast?res blanchis ? la chaux?? Sillonnerait-il Lewis ou North Uist, dans les H?brides, s?il n?esp?rait le refuge des maisons aux vastes pans sans ouvertures et aux imposants toits de chaume qui les prot?gent du froid et du vent??
Et que dire de Venise?! Si, avec l?inclinaison de ses palais et de ses maisons, la vo?te de ses ponts qui crient le mouvement de la lagune et la menace in?vitable de la vase et de l?eau, elle disparaissait tout ? coup pour ?tre remplac?e par une ville neuve?? Qu?en serait-il de l?atmosph?re, de la magie, du miracle?? Venise ne serait plus Venise. »
Au rythme insulaire (p.?28-31)
L?inspiration du large (p.?65-69)
Extrait court
« L?habitat est un ?l?ment important de l?esth?tique d?une ?le. Il est souvent diff?rent de celui du continent, et cela n??tonne qu?? peine quand on conna?t les difficult?s d?acheminement des mat?riaux. Il se distingue aussi parfois de celui de l??le voisine, ce qui peut s?expliquer par la diversit? g?omorphologique?: telle ?le est de granit, sa voisine est de schiste?; telle de basalte, sa voisine de sable. Mais surtout, l?habitat est r?v?lateur de l??me du lieu, de son caract?re, de son histoire et de sa population. Une maison de caboteur a, au pignon, l?escalier sans rampe qui lui permettait de remiser les gr?ements sous le toit. Il conviendrait d?avoir le souci respectueux de ne pas fermer cet escalier lors d?une restauration ?ventuelle. La maison de pilote avec son toit ? quatre pans, imposante, affiche quant ? elle le rang social de son propri?taire. Les palmiers plant?s ? l?abri des murs de pierres ont ?t? rapport?s par les cap-horniers en mal de lest et de chargement au retour de leurs tours du monde ? la voile. Les toits de chaume, indices d?un foyer trop pauvre pour s?offrir des ardoises, tiennent chaud en hiver et maintiennent la fra?cheur en ?t?. Aujourd?hui on les voit se percer de Velux et autres baies vitr?es sur des ?les o? l?on ne moissonne plus depuis longtemps.
Ainsi, la petite maison de p?cheur au toit de chaume ou d?ardoise, nich?e avec quelques autres par ?lots au fond de sentiers escarp?s de l??le-aux-Moines, o? tout n?est que douceur, parfums et floraisons, c?toie sans heurt aucun la maison de capitaine aux ?ils-de-b?uf de granit et balcons de ferronnerie. Leurs habitants cohabitaient aux si?cles pass?s, sachant bien que les uns ne pouvaient subsister sans les autres. Aujourd?hui, p?cheurs et cap-horniers ne sont plus que dans les souvenirs, les livres et la m?moire collective. Dans leurs maisons sont venus s?installer ou viennent en vacances des citadins qui, comme autrefois, se c?toient et apprennent les uns des autres, cependant qu?un habitat plus standardis? qui perd de son charme se d?veloppe et nuit ? la singularit? des lieux.
? Ouessant, ? l?extr?me pointe de la Bretagne, les maisons aust?res avec leurs hautes fa?ades grises, leurs petites ouvertures et leurs deux chemin?es en pignon o? l?on br?lait faute d?arbres la lande et la tourbe, soufflent que la vie ?tait et reste rude sur cette ?le balay?e par les vents, cisel?e par les courants et les temp?tes. Dans la lande et les bruy?res paissent de rustiques moutons ? la laine ?paisse pour lutter contre la rigueur du climat. L??comus?e du Niou Huella donnerait envie de venir vivre l? la vie sans artifice aucun du Ouessantin.
Cette sp?cificit? de l?habitat se d?cline ? l?infini. De l?autre c?t? de l?oc?an Altlantique, ? Terre-de-Haut, dans l?archipel des Saintes en Guadeloupe, les simples frises de bois sous les toits de t?le des cases traditionnelles n?ont, si ce n?est la joie de vivre et les effluves ?pic?s qui s?en exhalent, rien ? voir avec les murs de briques rouges ou de pierres de taille des demeures de Gustavia, ? Saint-Barth?lemy, quelques milles seulement plus au nord, o? les rues portent les noms et le drapeau les couronnes du royaume de Su?de qui domina l??le au XVIIIe?si?cle. M?me la case traditionnelle du p?cheur de Corossol est d?un vert d?eau plus scandinave qu?antillais. Elle a pourtant ses racines dans la terre de ses anc?tres. Elle est construite autour d?un ga?ac, cet arbre dont on faisait autrefois les bateaux. Le p?re l?a plant? ? la naissance de son fils, le coupera ? son mariage, et l?ossature de la maison viendra s?arrimer sur ce tronc. Elle sera ensuite recouverte d?essentes, tuiles de bois dont on fera ?galement le toit. On pourrait presque dire qu?il y a plusieurs ?les dans cette ?le pourtant si petite. La plus visible et la plus ostentatoire est bien naturellement le paradis fiscal avec son ?carr? d?or? et les cohortes de paquebots qui s?y arr?tent quotidiennement. La plus r?elle est certainement ce rendez-vous intime de c?l?brit?s et de fortunes qui s?y cachent et s?y reconnaissent. Mais l??le est pour tous la douceur de vivre sous les aliz?s, la senteur du jasmin au lever du jour au-dessus de Marigot, les crissements d?oiseaux dans les palmes de l?arbre du voyageur, le clocher su?dois sur les hauts de Gustavia qui ?gr?ne l?histoire de ce lieu o? se sont attard?s nombre de conqu?rants, dont Barth?lemy, le fr?re de Christophe Colomb. C?est le sable de corail, la fr?gate qui indique au p?cheur les bancs de marlins bleus ou de dorades coryph?nes, sa femme qui tresse et coud le latanier selon la tradition ancestrale, et la rencontre de deux s?urs au d?tour d?un chemin. Elles sont n?es l?, ont r?colt? le sel ? genoux, vous offrent un petit verre de rhum qu?elles ont elles-m?mes ?arrang??, et descendent l?une ? Lorient le samedi, l?autre ? Gustavia le dimanche, suivre la messe et surtout ?couter les histoires qui se trament et se tissent sur l??le. Leur ?le unique, dans la dentelle de turquoise de la Cara?be, aux couleurs de l?hibiscus.
Le voyageur s?arr?terait-il aux ?les Lofoten, au nord de la Norv?ge, s?il n?y avait les petites maisons sur pilotis rouge de Falun, o? vivent les p?cheurs de cabillauds pendant les longs mois de l?hiver bor?al et qui, impr?gn?es encore de l?odeur du mat?riel de p?che, l?accueillent lorsque le soleil brille encore ? minuit?? S?journerait-il sur l??le allemande de Sylt, en mer du Nord, sans les longs toits de chaume qui riment avec le vent qui fait s?envoler les dunes et ployer les oyats?? Go?terait-il la pl?iade d??les grecques s?il ne trouvait asile contre la chaleur br?lante dans les monast?res blanchis ? la chaux?? Sillonnerait-il Lewis ou North Uist, dans les H?brides, s?il n?esp?rait le refuge des maisons aux vastes pans sans ouvertures et aux imposants toits de chaume qui les prot?gent du froid et du vent??
Et que dire de Venise?! Si, avec l?inclinaison de ses palais et de ses maisons, la vo?te de ses ponts qui crient le mouvement de la lagune et la menace in?vitable de la vase et de l?eau, elle disparaissait tout ? coup pour ?tre remplac?e par une ville neuve?? Qu?en serait-il de l?atmosph?re, de la magie, du miracle?? Venise ne serait plus Venise. »
(p.?46-51)
Au rythme insulaire (p.?28-31)
L?inspiration du large (p.?65-69)
Extrait court
