Collection « Sillages »

  • Dans les pas de l?Ours
  • Au gr? du Yukon
  • Damien autour du monde
  • Maelstr
  • Unghalak
  • Au vent des Kerguelen
  • Grand Hiver (Le)
  • Voie des glaces (La)
  • Atalaya
  • Par les sentiers de la soie
  • P?lerin d?Orient
  • Volta (La)
  • Nomade du Grand Nord
  • Souffleur de bambou (Le)
  • Seule sur le Transsib?rien
  • Kamtchatka
  • Sous les yourtes de Mongolie
  • P?lerin d?Occident
  • Au c?ur de l?Inde
  • Cavalier des steppes
  • Sous l?aile du Grand Corbeau
  • Sib?riennes
  • Au pays des hommes-fleurs
  • Voyage au bout de la soif
  • Coureur des bois
  • Errance am?rindienne
  • ? l?auberge de l?Orient
  • Sans escale
  • Esp?ritu Pampa
  • Aux quatre vents de la Patagonie
  • Rivages de l?Est
  • Solitudes australes
  • Sur la route again
  • Road Angels
  • ? l??coute de l?Inde
  • Siberia
  • Brasil
  • Route du th? (La)
  • Diagonale eurasienne
  • Routes de la foi (Les)
  • Aborig?nes
  • Odyss?e am?rindienne (L?)
  • ?me du Gange (L?)
  • L?ours est mon ma?tre
  • Arctic Dream
  • Tu seras un homme
  • Ivre de steppes
  • P?lerin de Shikoku (Le)
  • Carpates
  • Moi, Naraa, femme de Mongolie
  • ? l?ombre de l?Ararat
  • Cavali?res
  • Habiter l?Antarctique
  • ?sland
  • La 2CV vagabonde
  • Namaste
Couverture
Les roses de Quasimodo :

« Au petit matin, apr?s une nuit p?nible dans l?arri?re-salle enfum?e du caf?, je trouve toutes les portes closes. Impossible de m?attarder jusqu?au r?veil de mes h?tes car une dure et longue ?tape m?attend. Apr?s avoir d?pos? un mot de remerciement sur le comptoir pour Quasimodo, j?ouvre la fen?tre, l?enjambe et m??loigne rapidement, comme un voleur.
Cette journ?e restera l?une des plus ?prouvantes de mon p?riple. Je suis malade depuis trois jours et l??cret? de l?atmosph?re enfum?e du caf? a achev? de me prendre ? la gorge. Chaque goul?e d?eau pourtant tellement indispensable devient si douloureuse que je pr?f?re souffrir de la soif. En trois jours, j?ai parcouru 140?kilom?tres et j?en ai pr?vu 45 de plus pour aujourd?hui, y compris le passage du col de Gezbeli ? pr?s de 2?000 m?tres. La raison aurait d? m?arr?ter, mais o??? ? Develi, j?aurais pu coucher une nuit suppl?mentaire ? l?h?tel, mais j?ai voulu profiter de la fen?tre m?t?o favorable. ? Bak&ibreve;rdag, je n?aurais pas pu abuser plus longtemps de l?hospitalit? de Quasimodo. Si l?on m?accueille parfois ? bras ouverts, mon passage doit rester bref. La meilleure volont? s??puise rapidement devant un ?tranger qui s?incruste.
Avancer. Avancer toujours. Je n?ai pas d?autre choix.
La route d?serte s??l?ve en lacet sur les flancs arides de la montagne. Elle monte. Monte sans fin. Pendant plus de 25?kilom?tres. Sous une alternance de soleil br?lant et de vent glac?. Les temp?tes ont si souvent balay? ces parages inhabit?s, la neige a tellement ravin? les pentes au printemps que les bourrasques ne soul?vent m?me plus de poussi?re. Remontant les versants, rabotant les sommets, s?engouffrant dans les vall?es, elles tournoient, s?ches, invisibles et mordantes sur la terre pierreuse.
Courb? sur la pente et luttant contre les rafales, je m?obstine ? avancer. Je me contrains ? ne pas esp?rer le col ? chaque tournant. Mes jambes se meuvent comme des automates?: elles savent mieux que moi o? est leur devoir. Le rythme m?canique de l?ascension me saoule. L?esprit se d?tachant peu ? peu de mon corps malade, mes pens?es flottent ailleurs, hallucin?es de fatigue. Je ne sais m?me pas si j?arriverai au bout de l??tape pr?vue. J?ignore o? j?abriterai ce soir mon ?puisement. Tout cela se terminera peut-?tre par une nuit dehors. Autour de moi, rien que des montagnes ?pres, hostiles et r?peuses comme l?irritation qui m?enflamme la gorge.
Au loin appara?t enfin une ?troite encoche dans le relief. Le col de Gezbeli?: 1?960?m?tres. Au-del? de cette ultime bosse commencera ma descente vers la M?diterran?e.
La route monte toujours. Encore plusieurs kilom?tres de progression machinale sur le ruban qui contourne capricieusement les sommets. Le ciel enfin s?abaisse ? hauteur d?homme.
En haut du col, un baraquement abrite des cantonniers. Je qu?mande un peu d?eau en esp?rant une invitation ? d?jeuner. On remplit ma bouteille d?un air indiff?rent, sans me proposer davantage, pas m?me une tasse de th?. Je ne me sens ni d??u ni contrari?. Pour eux, je ne suis qu?un passant. Voil? tout. Mach?Allah?! Qu?il soit fait selon la volont? de Dieu?! Je ne leur reproche m?me pas leur indiff?rence. Ainsi va la vie. Trop fatigu? pour exulter comme lors du passage des Carpates, je suis toutefois profond?ment soulag? d?avoir franchi ce cap. C??tait le dernier obstacle naturel in?vitable avant la Terre sainte. D?sormais, sauf accident, rien ne devrait m?emp?cher d?arriver ? pied ? J?rusalem.
La route de terre battue zigzague en pente douce au-del? du col, ?pousant le flanc des montagnes qui, apr?s la nudit? absolue des versants anatoliens, commencent ? se piqueter de pins noir?tres. Ce devrait ?tre du g?teau, la cerise sur le g?teau d?un franchissement r?ussi, mais, en ce jour ?reintant, m?me la descente est ?prouvante.
Je suis ext?nu?.
Je m?arr?te de plus en plus souvent, doubl? par de rares v?hicules qui tra?nent derri?re eux un nuage de poussi?re. Malgr? mon accablement, je n?ai aucune envie de monter ? bord, mais comme la route est dure?! ? l??puisement des derniers jours s?ajoute le contrecoup d?avoir mis derri?re moi ce fichu Taurus qui m?effrayait tant. Ce passage ouvre b?antes les vannes de la fatigue ind?niablement accumul?e depuis Istanbul. Je craignais tellement ce col que j?en ai r?v? toute la nuit?: comme s?il n??tait pas suffisant de le franchir une fois?!
J?atteins enfin le village de Doganbeyli. Destination?: Jandarma. Pr?s de la mosqu?e, on m?indique de loin la caserne, ? la sortie du village. Du ?mauvais c?t??, naturellement. Cinq cents m?tres suppl?mentaires. Cinq cents m?tres?! Rien ne me sera donc ?pargn? en cette journ?e harassante?! Chaque pas devient un arrachement. Je rencontre en chemin le docteur de l?antenne du Croissant-Rouge qui s?en vient justement saluer son ami le chef des gendarmes et me facilite l?entr?e en mati?re. Je n??veille chez eux aucun int?r?t particulier mais, peut-?tre par piti? devant mon ?tat, on m?offre un d?ner et un lit dans la chambr?e des deuxi?me classe. Je ne prolonge pas les mondanit?s et, apr?s l?indispensable lessive quotidienne, je m?abats sur le lit de fer au sommier grin?ant.
Avant de sombrer dans le sommeil, je me force ? ?crire quelques lignes dans mon carnet de bord?: ?Aujourd?hui, si les gendarmes m?avaient refus? l?hospitalit? et avaient propos? de me conduire en voiture au village suivant, distant de 25?kilom?tres, je n?aurais pas r?sist?. Je me rends compte qu?au-del? d?un certain degr? de fatigue physique, celle-ci an?antit les plus fortes r?solutions morales. Je n?en peux plus. Voil? tout.? Je per?ois l?importance d??crire cela sur le moment. Je crains trop les compromissions du lendemain. Un peu repos?, j?aurais peut-?tre biais? et pr?tendu n?avoir jamais baiss? la garde. Cette esquisse de retraite ne laisse pas de me d?concerter. Abandonner la marche au bout de 30, 50 ou 200?kilom?tres passe encore mais, aujourd?hui, le rempart haut des 4?500?kilom?tres d?j? parcourus me prot?geait de cette d?robade. Faut-il donc une extraordinaire force dans la faiblesse du corps pour lui faire franchir all?grement cet immense mur protecteur et courber ainsi la volont? la plus farouche?! »
(p.?167-170)

Jandarma (p.?148-150)
Hadji Fran?ois (p.?193-195)
Extrait court
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