La onzi?me heure :
« D?laissant l?autoroute qui me conduirait ? la Vieille Ville en trois heures, je m?enfonce dans les collines bois?es de Jud?e. Au bout d?une quinzaine de kilom?tres, j?atteins la voie ferr?e d?saffect?e qui reliait Tel-Aviv et J?rusalem. Celle qu?empruntaient, au d?but du XXe?si?cle, les p?lerins d?barqu?s ? Jaffa. Certains nostalgiques se lamentaient d?j? des ravages du progr?s qui bouleversait leur vision surann?e d?une J?rusalem biblique o? l?on ne pourrait sans doute p?n?trer qu?? dos d??ne, comme J?sus le jour des Rameaux.
La ligne serpente et s??l?ve lentement entre les collines silencieuses. Dans la lumi?re limpide de cette matin?e d?hiver, le paysage respire une paix ? d?mentir toute la folie des hommes. Achever la mont?e ? J?rusalem dans une telle s?r?nit? lumineuse est un pur bonheur. Frayant mon chemin au flanc des versants bois?s, je demeure concentr? sur l?ultime poign?e de kilom?tres, mais int?rieurement tout mon ?tre galope avec ivresse sur les nu?es imaginaires de la victoire.
Un cueilleur de champignons m?avertit?:
??La voie trace la fronti?re avec les territoires palestiniens. C?est la Ligne verte. Il serait plus prudent de rester du c?t? nord, en Isra?l.
Ainsi, les deux rails de fer seront mon dernier fil de funambule. Le danger de tutoyer cette lisi?re entre deux mondes m?attire irr?sistiblement. J?y verrais volontiers un infime espace de paix, mais ce n?est qu?une illusion de neutralit? o? chacun pourrait bien me confondre avec l?ennemi.
Dans une courbe, la voie enserre un village arabe. Les maisons s??tagent sur le coteau d?en face, group?es autour de la mosqu?e. Des passants couverts du keffieh d?ambulent dans les rues. On entend les ?l?ves crier sous le pr?au de la cour de r?cr?ation. La vie normale de n?importe quel village en paix. Mais ils sont ?de l?autre bord?. Terriblement ?trangers. Sous mes pieds, les rails rouill?s s?enfuient honteusement, aussi barbares qu?une ligne de fer barbel?, tandis que les collines des alentours se couronnent de quartiers juifs ? l?allure de forteresses imprenables.
Les rails me conduisent facilement ? travers le d?dale des faubourgs. Ils me lib?rent du souci de chercher mon chemin et me permettent de profiter sereinement des derni?res heures. Au lieu de 15?kilom?tres d?autoroute, j?ai parcouru pr?s de 45?kilom?tres dans les collines et le long de la voie ferr?e. Enfin, au seuil de l?obscurit?, les voies s??cartent au milieu des mauvaises herbes. Une vieille locomotive et quelques wagons ach?vent de rouiller sur une voie de garage. La gare d?saffect?e ?l?ve ses deux ?tages enti?rement d?labr?s. Une si petite gare pour la ville la plus sainte du monde?! Encore quelques dizaines de m?tres, quelques m?tres. Au bout des rails, le butoir solidement ancr? dans le sol semble me rappeler que l?on ne va pas plus loin. Terminus?! Tout le monde descend?! Un panneau encore intact surplombe la plate-forme. Dans les tons bleu et blanc du drapeau isra?lien, on peut y lire, en caract?res h?breux et latins?: ?J?rusalem?.
Voil??: je suis arriv?. Presque. Je viens d?atteindre le d?but de l?ar?te ?troite qui, dans mon imagination, court de J?rusalem ? Bethl?em et que je m??tais assign?e comme but de ces longs mois de voyage. Je suis arriv?. Je ne pleure pas, je ne saute pas de joie. Non, la joie serait trop p?le et l?all?gresse trop frivole?; l?ivresse serait d?raisonnable et le bonheur trop imprudent? Dans l?obscurit? qui submerge le ciel transparent et enveloppe la Ville sainte avec une pudeur de jeune ?pous?e, seul demeure un sentiment profond d?accomplissement qui comble l??tre tout entier. »
Jandarma (p.?148-150)
Les roses de Quasimodo (p.?167-170)
Hadji Fran?ois (p.?193-195)
« D?laissant l?autoroute qui me conduirait ? la Vieille Ville en trois heures, je m?enfonce dans les collines bois?es de Jud?e. Au bout d?une quinzaine de kilom?tres, j?atteins la voie ferr?e d?saffect?e qui reliait Tel-Aviv et J?rusalem. Celle qu?empruntaient, au d?but du XXe?si?cle, les p?lerins d?barqu?s ? Jaffa. Certains nostalgiques se lamentaient d?j? des ravages du progr?s qui bouleversait leur vision surann?e d?une J?rusalem biblique o? l?on ne pourrait sans doute p?n?trer qu?? dos d??ne, comme J?sus le jour des Rameaux.
La ligne serpente et s??l?ve lentement entre les collines silencieuses. Dans la lumi?re limpide de cette matin?e d?hiver, le paysage respire une paix ? d?mentir toute la folie des hommes. Achever la mont?e ? J?rusalem dans une telle s?r?nit? lumineuse est un pur bonheur. Frayant mon chemin au flanc des versants bois?s, je demeure concentr? sur l?ultime poign?e de kilom?tres, mais int?rieurement tout mon ?tre galope avec ivresse sur les nu?es imaginaires de la victoire.
Un cueilleur de champignons m?avertit?:
??La voie trace la fronti?re avec les territoires palestiniens. C?est la Ligne verte. Il serait plus prudent de rester du c?t? nord, en Isra?l.
Ainsi, les deux rails de fer seront mon dernier fil de funambule. Le danger de tutoyer cette lisi?re entre deux mondes m?attire irr?sistiblement. J?y verrais volontiers un infime espace de paix, mais ce n?est qu?une illusion de neutralit? o? chacun pourrait bien me confondre avec l?ennemi.
Dans une courbe, la voie enserre un village arabe. Les maisons s??tagent sur le coteau d?en face, group?es autour de la mosqu?e. Des passants couverts du keffieh d?ambulent dans les rues. On entend les ?l?ves crier sous le pr?au de la cour de r?cr?ation. La vie normale de n?importe quel village en paix. Mais ils sont ?de l?autre bord?. Terriblement ?trangers. Sous mes pieds, les rails rouill?s s?enfuient honteusement, aussi barbares qu?une ligne de fer barbel?, tandis que les collines des alentours se couronnent de quartiers juifs ? l?allure de forteresses imprenables.
Les rails me conduisent facilement ? travers le d?dale des faubourgs. Ils me lib?rent du souci de chercher mon chemin et me permettent de profiter sereinement des derni?res heures. Au lieu de 15?kilom?tres d?autoroute, j?ai parcouru pr?s de 45?kilom?tres dans les collines et le long de la voie ferr?e. Enfin, au seuil de l?obscurit?, les voies s??cartent au milieu des mauvaises herbes. Une vieille locomotive et quelques wagons ach?vent de rouiller sur une voie de garage. La gare d?saffect?e ?l?ve ses deux ?tages enti?rement d?labr?s. Une si petite gare pour la ville la plus sainte du monde?! Encore quelques dizaines de m?tres, quelques m?tres. Au bout des rails, le butoir solidement ancr? dans le sol semble me rappeler que l?on ne va pas plus loin. Terminus?! Tout le monde descend?! Un panneau encore intact surplombe la plate-forme. Dans les tons bleu et blanc du drapeau isra?lien, on peut y lire, en caract?res h?breux et latins?: ?J?rusalem?.
Voil??: je suis arriv?. Presque. Je viens d?atteindre le d?but de l?ar?te ?troite qui, dans mon imagination, court de J?rusalem ? Bethl?em et que je m??tais assign?e comme but de ces longs mois de voyage. Je suis arriv?. Je ne pleure pas, je ne saute pas de joie. Non, la joie serait trop p?le et l?all?gresse trop frivole?; l?ivresse serait d?raisonnable et le bonheur trop imprudent? Dans l?obscurit? qui submerge le ciel transparent et enveloppe la Ville sainte avec une pudeur de jeune ?pous?e, seul demeure un sentiment profond d?accomplissement qui comble l??tre tout entier. »
(p.?287-288)
Jandarma (p.?148-150)
Les roses de Quasimodo (p.?167-170)
Hadji Fran?ois (p.?193-195)