Collection « Sillages »

  • Dans les pas de l?Ours
  • Au gr? du Yukon
  • Damien autour du monde
  • Maelstr
  • Unghalak
  • Au vent des Kerguelen
  • Grand Hiver (Le)
  • Voie des glaces (La)
  • Atalaya
  • Par les sentiers de la soie
  • P?lerin d?Orient
  • Volta (La)
  • Nomade du Grand Nord
  • Souffleur de bambou (Le)
  • Seule sur le Transsib?rien
  • Kamtchatka
  • Sous les yourtes de Mongolie
  • P?lerin d?Occident
  • Au c?ur de l?Inde
  • Cavalier des steppes
  • Sous l?aile du Grand Corbeau
  • Sib?riennes
  • Au pays des hommes-fleurs
  • Voyage au bout de la soif
  • Coureur des bois
  • Errance am?rindienne
  • ? l?auberge de l?Orient
  • Sans escale
  • Esp?ritu Pampa
  • Aux quatre vents de la Patagonie
  • Rivages de l?Est
  • Solitudes australes
  • Sur la route again
  • Road Angels
  • ? l??coute de l?Inde
  • Siberia
  • Brasil
  • Route du th? (La)
  • Diagonale eurasienne
  • Routes de la foi (Les)
  • Aborig?nes
  • Odyss?e am?rindienne (L?)
  • ?me du Gange (L?)
  • L?ours est mon ma?tre
  • Arctic Dream
  • Tu seras un homme
  • Ivre de steppes
  • P?lerin de Shikoku (Le)
  • Carpates
  • Moi, Naraa, femme de Mongolie
  • ? l?ombre de l?Ararat
  • Cavali?res
  • Habiter l?Antarctique
  • ?sland
  • La 2CV vagabonde
  • Namaste
Couverture
V?nus et la Th?ba?de :

« Un choc et un long frisson?: voici Florence. Un choc, lorsque en quittant la rue sombre de Vacchereccia, je d?bouche presque par hasard sur la place de la Seigneurie, domin?e par les sombres murs de brique du Palazzo Vecchio, et tombe en arr?t devant le colossal David de Michel-Ange, puis d?couvre la loggia des Lansquenets, sur le c?t?, o? se dressent des chefs-d??uvre absolus de la sculpture de l?Antiquit? et de la Renaissance?: M?n?las soutenant le corps de Patrocle mourant, un Enl?vement des Sabines, Hercule combattant le Centaure par Jean de Bologne ou encore le fameux Pers?e brandissant la t?te de la Gorgone, par Benvenuto Cellini. On a beau conna?tre par l?image certaines de ces ?uvres, leur relief, leur pr?sence, la force avec laquelle elles jaillissent dans l?espace et la juxtaposition de leur perfection stup?fient. Et le fait que le David expos? ? l?ext?rieur soit une copie du XIXe?si?cle destin?e ? pr?server l?original des outrages du temps ne change pas grand-chose ? l?affaire.
Dans ma vie solitaire o? le souvenir d?une br?ve et belle rencontre peut me soutenir durant plusieurs jours ingrats, je pourrais passer des heures, sans me lasser, ? tourner autour d?un seul de ces chefs-d??uvre, ? m?en impr?gner, ? me charger de ses perfections que j??gr?nerai durant les heures monotones pour donner une ?me et une beaut? ? la vie le long des routes sans joie. L?Enl?vement de Polyx?ne, par exemple?: la seule statue moderne de la loggia, composition pyramidale de taille colossale ? quatre personnages, taill?e au XIXe?si?cle par Pio Fedi dans un unique bloc de marbre.
Troie vient de tomber aux mains des Grecs. Dans la ville en flammes, livr?e aux pillards, Pyrrhus, le fils d?Achille, a surgi dans le palais du roi Priam. ? la t?te d?un parti de soldats ivres de revanche, il a saccag?, tu?, massacr? avec une cruaut? indigne de la gloire de son p?re. Au milieu des cris des m?res ?pouvant?es qui errent ? travers l?immense palais, au milieu du brasier et de l?effondrement des charpentes en feu, il a cherch? Polyx?ne, la plus jeune fille du roi des Troyens, aim?e d?Achille et cause de sa mort car ce fut elle qui r?v?la ? P?ris la faiblesse du talon. Il l?a d?couverte, enfin, r?fugi?e aupr?s d?H?cube, sa m?re, prot?g?e par son p?re et son fr?re Polit?s. Sans une once de piti?, Pyrrhus vient de d?capiter le vieux Priam et de transpercer Polit?s qui g?t ? ses pieds. ?n?e, entr? par une porte d?rob?e et portant son p?re sur ses ?paules, a assist? ? la sc?ne, p?trifi?. Les yeux agrandis par l?horreur, il ne voit plus qu?un quatuor de personnages saisi ? l?instant supr?me?: Pyrrhus au c?ur de la vengeance, enjambant le cadavre de Polit?s, enlevant dans son bras gauche Polyx?ne ?perdue qui se d?bat contre l??treinte, tandis que la dextre brandit le glaive pour frapper H?cube, suppliante, qui se tra?ne ? ses genoux, s?accroche ? lui et l?implore.
Pyrrhus est divin, beau et casqu? comme le dieu Mars, le visage plein de morgue, le torse athl?tique, le bras en extension au-dessus de la t?te, le glaive rejet? en arri?re, dans un geste qui veut tout ensemble ?chapper aux bras d?H?cube qui l?agrippent et ajouter un ?lan mortel ? la lame qui fendra l?air en sifflant avant le prochain battement de paupi?res de la m?re ?plor?e. H?cube, ?la triste H?cube, dit Dante, esclave et mis?rable?, la chevelure d?faite, indiff?rente au d?sordre qui la laisse ? demi nue et lui d?couvre les reins, les yeux chavir?s par la douleur, une main sur la poitrine du ravisseur et l?autre glissant sur la cuisse de sa fille. Polyx?ne, belle comme une nymphe, d?j? ailleurs, le corps tortur? comme si elle se d?battait dans les flammes du b?cher, au sacrifice qui l?attend. ? leurs pieds, pantin d?sarticul?, le cadavre de Polit?s et, au coin de sa paupi?re, une larme pas encore s?che qui va couler sur sa tempe.
?n?e, ?pouvant?, ployant sous le poids d?Anchise, s?est enfui avant de voir le glaive s?abattre sur la femme de son roi. Sous mes yeux, en un seul jaillissement, se conjuguent la jeunesse, la force, la gr?ce, la majest? et le d?sespoir. Avant que l?esprit ne cherche ? comprendre cet ?lan suspendu, les sens sont boulevers?s. La terreur et la piti??: les deux ressorts de la trag?die qu?Aristote th?orisait dans son Art po?tique. Cinq actes jaillis d?un seul bloc de marbre.
?bloui par la prodigieuse virtuosit? du sculpteur, on tourne autour de la composition car aucun point de vue ne suffit ? l?embrasser. On s?approche pour d?m?ler l?enchev?trement des corps, admirer, incr?dule, la pression des doigts qui s?enfoncent dans la chair de marbre, la vie qui palpite dans les veines et les drap?s transparents qui d?voilent les corps. Le naturel des chevelures et les plis des v?tements. Plus pr?s apparaissent la perfection du polissage et les coups de ciseau laiss?s ? dessein. Puis on prend du recul et l?on d?couvre une des mille facettes qui avaient ?chapp? au premier abord?: le contrepoint path?tique entre le cadavre de Polit?s et la vitalit? f?roce de Pyrrhus. On tourne ? nouveau?
J?y consacrerais des heures sans me lasser. Pour une statue? et dans la seule loggia, mes yeux en comptent plus de dix?!
Je ne peux quitter les lieux sans un dernier regard pour le Pers?e fondu en 1549?: ce n?est pas seulement un bronze charmant et terrifiant, c?est l?histoire dantesque de la cr?ation. Une prouesse jamais tent?e, improbable, dangereuse et r?demptrice. Cellini, terrass? par la fi?vre, agonisant, qui confie la fonte ? ses ouvriers puis, ? l?annonce de l??chec de la tentative, se rel?ve, se rue sur le fourneau pour r?tablir et pr?cipiter la liqu?faction du m?tal, dans lequel il jette des st?res de bois, tous les plats, toutes les ?cuelles d??tain de son m?nage.
Alors, je fis prendre un demi-pain d??tain qui pesait environ 60?livres, et je le jetai dans le fourneau sur le g?teau, qui, gr?ce au ch?ne qui le chauffait en dessous et aux leviers avec lesquels nous l?attaquions en dessus, ne tarda pas ? devenir liquide. Quand je vis que, contre l?attente de tous ces ignorants, j?avais ressuscit? un mort, je repris tant de forces qu?il me semblait n?avoir plus ni fi?vre ni crainte de la mort.

L?artiste a envoy? ses gens ?teindre le feu que les flammes avaient allum? sur le toit. Soudain, le moule explose avec une d?tonation terrifiante. Aid? de ses ouvriers, Cellini, hallucin?, s?emploie ? r?parer les d?g?ts et prie le Seigneur ressuscit?.
? l?instant, mon moule s?emplit, je tombai ? genoux et je remerciai le Seigneur de toute mon ?me. Puis, ayant aper?u un plat de salade qui ?tait l? sur un mauvais petit banc, j?en mangeai de grand app?tit et je bus avec tous mes hommes. Ensuite, comme il ?tait deux heures avant le jour, j?allai joyeux et bien mieux portant me fourrer dans mon lit, o? je me reposai aussi tranquillement que si je n?eusse jamais ?t? le moins du monde indispos?.

Apr?s avoir laiss? refroidir le bronze deux jours, Cellini brise le moule ? partir du sommet et d?couvre progressivement la perfection de la fonte. Une perfection qu?il avait pr?vue et d?taill?e ? son commanditaire, jusque dans le d?faut du pied droit, imparfaitement form?.
Bien que cet accident d?t me donner un peu plus de travail, j?en fus enchant?, car il devait prouver au duc que je savais mon m?tier.

Un choc et aussi un long frisson lorsque je longe la cath?drale aux murs par?s de marbres polychromes, domin?e par l?audacieuse coupole de Brunelleschi. Mais je ne peux tout voir en un jour. M?me Cellini, devant la M?duse incandescente, s?interrompit pour d?vorer un plat de salade. M?arrachant au premier envo?tement, je me remets en route pour rejoindre mon refuge florentin sur les hauteurs qui dominent la ville. »
(p.?126-153)

Un passant du clair de lune (p.?11-13)
Le phare du bout du monde (p.?255-258)
Extrait court
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