Le Sahel ? Tresser la paille :

« Le paysage est d?charn?, le soleil de plomb. Les nuages de poussi?re signalent les troupeaux de z?bus, ces vaches aux cornes en lyre originaires d?Inde, symbole de l??levage extensif des Wodaabe. Le peuple de l?interdit, riche de nombreux tabous, fascine par sa mobilit?, toujours en route pour le bonheur de son cheptel. Le p?tre devance ses b?tes, un long b?ton en travers des ?paules, de la voix il ordonne bri?vement et le b?tail suit. Accompagn?s d?un gar?on, les petits ruminants trottinent en b?lant. Derri?re les animaux laitiers, retard?s par le d?montage du campement, viennent les ?nes b?t?s, charg?s des maigres biens des nomades. Les arceaux des huttes temporaires se balancent, improbables m?tures. Mont?s par des femmes et des enfants, les ?nes chenillent entre les acacias et les euphorbes, tr?buchent quand la terre croule, rendue fragile par les terriers sournois des mangoustes. Un l?vrier court dans l?ombre d?un bourricot. Une femme avance ? petits pas rapides, trois niveaux de calebasses en ?quilibre sur la t?te. Ces bergers, qui appartiennent ? l?imposante galaxie tribale peule pr?sente dans toute l?Afrique de l?Ouest, parcourent la brousse, ?tressent la paille? quotidiennement, comme si chaque matin un nouvel horizon leur ?tait n?cessaire?!
Au c?ur d?une steppe rase et br?l?e, une clairi?re bord?e de quelques arbres, comme une barri?re garante de l?intimit? du lieu, est choisie pour installer le bivouac. ? Ana Sefou, le p?re de mon ami Kabo, revient de d?signer les emplacements de chaque famille du lignage?: les maisonn?es, constitu?es de la table pour aligner les calebasses et du lit de rondins rehauss?s, sont ? l?est?; c?est le domaine f?minin, la sph?re priv?e. La corde ? veau, d?j? pr?sente sur les fresques du n?olithique, est tendue du sud vers le nord. ? l?ouest, l?espace public, o? les hommes re?oivent leurs h?tes. Tout est codifi??: les veaux sont attach?s pour la nuit, du plus ?g? au plus jeune. Les r?cipients ? lait sont rang?s ? l?inverse, du nord vers le sud, par ordre d?croissant de taille. L?aire de vie est ainsi d?limit?e, rigoureuse et nette, toujours propre et balay?e, balis?e de sentiers qui aident ? cartographier l??ph?m?re p?le de s?dentarisation de ces arpenteurs inv?t?r?s. J?ai choisi de nomadiser avec ces pasteurs qui semblent sortis des grottes de la pr?histoire. Leur vie simple de prime abord est d?une complexit? inou?e. De l?imposition du nom ? la mort, de l?art v?t?rinaire empirique aux connaissances en phytoth?rapie, de la s?lection des g?niteurs au choix des pacages, tout est r?gi par des r?gles strictes appliqu?es par tous.
Les limbes du jour restent frais. Kabo allume un feu, y r?chauffe ses membres engourdis par la nuit. Ses mains courtisent les flammes avant de glaner quelques braises pour le premier th?. Les plaintes des b?tes ne s?estompent jamais r?ellement, mais elles percent de fa?on plus aigu? aux aurores, quand corrals et foyers s??veillent. Doula et Doria, les deux fr?res a?n?s de Kabo, entourent notre brasero. La petite bouilloire chante, une douce fum?e nous enveloppe, et j?essaie de ne pas rompre ces instants de pl?nitude par des paroles inutiles. Ouni, belle-s?ur de mon h?te, chantonne aux oreilles d?Iliassou, son petit dernier. L?enfant est aux anges, il babille, ceintur? ? la taille de sa m?re par un pagne nou?, puis retourne vers le sein gonfl?. A?ssa, enroul?e dans un drap color?, ?loigne du pis les veaux qui amorcent la traite avant d??tre attach?s par le cou ? une patte ant?rieure de leur m?re. Le lait gicle dans la calebasse, mousse, ?pais et cr?meux. En terre wodaabe, ce sont les femmes en ?ge d?enfanter qui traient. Le pis de l?animal une fois tari, la berg?re lib?re le broutard puis passe au suivant. Le produit de la traite repose un moment dans une grande jatte, avant d??tre malax? puis baratt? dans une courge ? col. Le claquement du petit-lait, de la motte qui se forme, r?sonne dans la savane arbustive. Chaque ?pouse vaque ? ses occupations son outil ? la main. Enfin, le cheptel s?en va p?turer?; les z?bus dodelinent de leurs t?tes alourdies par l?immense encornure, arrachent une paille cassante, les veaux ? la corde sont lib?r?s d?s que les vaches sont ?loign?es, et le petit b?tail gambade ? proximit?. »

L?entr?e dans le T?n?r? ? Vertige horizontal (p.?40-43)
L?erg de Bilma ? La sensualit? des dunes (p.?104-107)
Extrait court