Collection « La cl? des champs »

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Couverture
D?troit ? Quatorze petits kilom?tres :

« Gibraltar? lieu symbolique s?il en est pour commencer notre voyage. Point de contact entre la M?diterran?e et l?Atlantique, l?Europe et l?Afrique, en m?me temps que point de rupture?: chaque ann?e, des centaines de clandestins meurent en essayant de franchir les quatorze petits kilom?tres du d?troit sur des bateaux de fortune. Avant d?embarquer pour Tanger, o? tant de regards sont braqu?s sur les c?tes de cette Espagne si proche et pourtant inaccessible, Axelle et moi voulons prendre la mesure de la distance qui s?pare les deux rives.
Nous laissons la camionnette ? La?L?nea de la Concepci?n, derni?re ville espagnole avant le Rocher, et passons la fronti?re ? pied comme les 6?000?citoyens espagnols qui vont travailler tous les jours dans cette mini-enclave britannique de 6?km2, et comme les flop?es de touristes qui viennent y admirer la c?l?bre colonie de singes sauvages. Le bus n??3 nous d?pose tout au bout de la p?ninsule, au pied du phare qui surplombe le d?troit, autant dire au bout de l?Europe. Comme toute la zone est militaire, il n?y a aucune construction au bord de la falaise, ? part une insolite mosqu?e, le phare et une petite boutique. La rive africaine est dissoute dans la brume, tant pis pour les photos. Nous nous rabattons sur la boutique de souvenirs, judicieusement nomm?e ?The Last Shop in Europe??
Nous tombons l? sur le propri?taire, Michael, authentique sp?cimen gibraltarien qui se pr?te volontiers ? l?examen de notre curiosit?. N? ? ?Gib?, comme on dit ici, citoyen britannique donc, Michael a une m?re anglaise et un p?re portugais. En plus de ces deux langues, il parle couramment l?espagnol, comme les 28?000?habitants du Rocher. ?Ici tout le monde a la double culture, nous explique-t-il. Pour le business, on utilise plut?t l?anglais, on baisse la voix dans les conversations, on a la ponctualit? britannique. Mais d?s qu?on sort pour s?amuser, on redevient latins, on se met ? parler tr?s fort, et toujours en espagnol?! On prend ce qu?il y a de meilleur de chaque c?t?.? Pourtant, quand on lui demande quelle identit? il revendique, il n?h?site pas une seconde?: ?Britannique, bien s?r?!? Et inutile d??voquer un possible rattachement ? l?Espagne, il n?en est pas question, m?me s?il reconna?t avoir souffert de claustrophobie pendant les treize ann?es o? la fronti?re est rest?e ferm?e, ? l?instigation de Franco, de 1969 ? 1982.
Michael ne manque pas d?autod?rision. Quand quelqu?un s?avise de lui demander ce que signifie le Z du sigle GBZ sur les plaques d?immatriculation locales, il r?pond le plus s?rieusement du monde?: ?Z comme Zoo, Great Britain Zoo. Ben oui, on a beaucoup de singes par ici.? Une fois sur deux les gens le croient. Pas moi. ? force d?insister, il finira par me l?cher la v?rit??: Great Britain Zone. Michael a un grain de folie very British. Peut-?tre ? cause du vent, ou ? force de rester sur ce bout de rocher ? voir d?filer des touristes toute la sainte journ?e. ?Je pourrais presque ?crire un trait? d??thologie compar?e. J?en vois passer des millions toute l?ann?e. Ici il n?y a pas de saison creuse.? Depuis qu?il a rebaptis? sa boutique The Last Shop in Europe, ses ventes ont augment? de 20?%. Michael a le sens du commerce?; il pr?f?re avoir ? r?p?ter cinquante fois par jour que non, d?sol?, il n?y a pas de toilettes, plut?t que de mettre une pancarte ? l?ext?rieur, parce qu?au moins les gens entrent pour lui poser la question, et avec un peu de chance ils repartent avec deux ou trois cartes postales.
Pourtant sa vocation ?tait tout autre. Apr?s des ?tudes d??conomie et de politique, il r?vait de travailler pour l?Europe, lui qui est trilingue de naissance. Mais il a accept? de reprendre l?affaire de son p?re quand ce dernier est tomb? malade. ?Une grosse erreur?, dit-il. ? 50?ans, il a maintenant pass? la moiti? de sa vie dans cette boutique. Heureusement pour lui, Michael a une autre passion?: les amphores antiques. Il peut du premier coup d??il d?terminer l??poque, le lieu d?origine et le contenu d?une amphore. Mordu de plong?e, il a longtemps sillonn? les fonds marins ? la recherche de tr?sors engloutis, qu?il remontait ? la surface lorsque la r?glementation ?tait moins stricte. Maintenant que c?est interdit, il s?est reconverti dans la p?che au thon et s?est pay? un bateau avec trois copains. Tiens, d?ailleurs, si on allait faire une balade en mer??
Et voil? comment, apr?s un d?licieux gaspacho et quelques calamars frits aval?s dans un restaurant du port o? le capitaine a ses habitudes, nous nous retrouvons embarqu?es sur son bateau ? moteur. La mer est calme, et nous d?crivons un grand arc de cercle autour de la presqu??le de Gibraltar. Je n?en reviens pas d??tre l?, au beau milieu de ce d?troit mythique, porte d?entr?e de la M?diterran?e, si petit bras de mer et pourtant immense gouffre entre deux continents. D?un c?t? l?opulente Europe, d?mocratique, industrielle, exc?dentaire et vieillissante?; de l?autre l?Afrique mis?reuse, exploit?e, manquant de tout et crevant de sa jeunesse. Quatorze kilom?tres d?eau sal?e, et vous changez de monde?; quatorze kilom?tres, et des vies si diff?rentes selon le c?t? o? le destin vous a fait na?tre?; quatorze kilom?tres qu?on ne peut traverser qu?? sens unique, promenade de sant? pour les uns, mur infranchissable pour les autres. Pourtant, ? faire des ronds dans le d?troit, je finis par perdre le nord et le sud. Des deux c?tes rocheuses que j?aper?ois, laquelle est l?Afrique, laquelle est l?Europe?? »
(p.?6-9)

Table ? Le sarment, le rameau et l??pi (p. 26-31)
Fl?nerie ? L?heure de tous les regards (p.?60-63)
Identit?s ? Un pass? qui ne passe pas (p.?80-85)
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