Collection « Visions »

« Quiconque a emprunt? le Transsib?rien qui, en une semaine, relie Moscou ? P?kin ou Vladivostok a embrass? du regard, depuis sa rive m?ridionale, l?immense horizon du lac que les ?venks qualifient de ?mer? (lama) et les Bouriates de ?riche? (baigal). Pour tous les Russes, le Ba?kal est ?l??il bleu de la Sib?rie?, qui cumule les superlatifs, que ce soit par sa superficie, sa profondeur, son volume ou le taux d?end?misme des esp?ces qui le peuplent. La puret? de ses eaux est l?gendaire, et l?gendaire aussi la beaut? de ses rives. Tr?s t?t pourtant, cet ?cosyst?me unique a ?t? menac?, mais aujourd?hui, quoique les ressources halieutiques diminuent, la nature semble avoir repris ses droits. Fini le temps o? la zibeline ?tait victime de la cupidit? des marchands de fourrures, et les d?cembristes des oukases du tsar. Finies les ann?es?1950, lorsque les ing?nieurs sovi?tiques de la centrale d?Irkoutsk, en aval, tout ? leur folie hydro?lectrique, propos?rent de faire sauter le rocher sacr? des Bouriates, qui diminuait le d?bit du seul exutoire du lac, l?Angara. Finie l??re krouchtch?vienne et la toute-puissance du combinat de cellulose, qui d?forestait les rives et polluait les eaux. Finie aussi, sur action de Vladimir Poutine, la r?cente menace que repr?sentait le passage d?un ol?oduc en bordure de la perle sib?rienne. Le lac Ba?kal ne conna?tra pas le sort de la mer Blanche, pollu?e, ni celui de la mer d?Aral, exsangue.
C?est ce havre parfois ourl? de temp?tes, au c?ur de l?immense nature sib?rienne, qu?ont sillonn? en toutes saisons et ? plusieurs reprises l??crivain-voyageur Sylvain Tesson et le photographe Thomas Goisque, que lie depuis le d?but des ann?es?2000 une amiti? forg?e au cours de reportages aux quatre coins du monde. Ce qu?ils y ont d?couvert, c?est que le lac Ba?kal, qui fut autrefois un refuge pour les exil?s et les vieux-croyants, constitue aujourd?hui un recours pour les d?sabus?s de la vie dans les villes, qui cherchent, dans ce retour aux cabanes, une existence plus libre, plus belle et plus intense. De m?me que le cop?pode Epischura baicalensis conserve aux eaux toute leur puret?, de m?me la vertu du lac, de ses sources chaudes, de son ?le d?Olkhon et de ses rives escarp?es ou p?tur?es apaise les anciennes douleurs et calme les passions. Car l?eau lustrale du Ba?kal rass?r?ne l??me en proie ? la nostalgie des origines davantage que ne le fait la ?petite eau? ? la vodka. Et sans doute est-ce cela que Sylvain Tesson s?en va qu?rir dans l?amiti? qu?il entretient avec ses amis ultramarins ? le Ba?kal n?est-il pas une mer int?rieure?? Et sans doute est-ce cette puissance de la nature dans le regard des hommes qui vivent de la chasse et de la p?che qu?appr?cie Thomas Goisque. Quel bonheur d?avoir trouv?, aux confins de la ta?ga, un lieu o? une cabane vous attend, quelle que soit la saison ou l?heure?! O? un Sib?rien, qui ne vous a pas vu depuis une ann?e et ne semble pas avoir boug? de son isba, ne s??tonnera pas un instant de vous revoir, vous accueillera et vous proposera aussit?t zakouski et ogourtsi issus de son potager? L?, certains hommes vivent en telle intelligence avec le lac qu?on ne saurait dire s?ils tiennent de lui la couleur de leurs yeux ou si c?est lui qui a pris la couleur des leurs. Car s?il est une couleur que cet ouvrage immortalisera, c?est le bleu Ba?kal. »