Les motivations des jeunes voyageurs contemporains
S’il revient à chacun de définir la forme qu’il désire donner à son voyage, il paraît évident que certains types de voyage sont moins propices à l’ivresse des lointains et à la découverte que d’autres, professe Émeric Fisset.
Ils sont nombreux, les mythes qui animent les voyageurs contemporains. Comme leurs prédécesseurs, illustres ou méconnus, les jeunes voyageurs actuels rêvent d’échapper à la routine, de connaître le dépaysement, d’établir des relations chaleureuses, de faire l’expérience du dépassement de soi. En fait, ils aspirent à vivre de manière plus intense, moins programmée aussi sans doute, ce que les voyagistes promettent en termes de plaisir, d’authenticité et de convivialité, mais – et il faut le leur reconnaître – se détournent des questions de luxe et de confort, déterminantes à un âge plus avancé. Pour échapper à la routine, le voyageur est prêt à abandonner longuement sa famille et ses proches, même s’il n’envisage le plus souvent son absence que dans le cadre, optimal, d’un congé sabbatique. S’il n’ose pas faire fi de son emploi, il cultive parfois l’espoir d’en changer à travers son voyage (aborder la presse ou l’audiovisuel, trouver un poste à l’étranger, etc.). Pour expérimenter le dépaysement et la sensation grisante de se croire parmi les premiers à aborder telle ou telle contrée – résultant fréquemment de l’ignorance dans laquelle, avec le Guide du routard ou le Lonely Planet en main, il se tient à l’égard de la littérature –, le jeune voyageur est capable d’enchaîner les bus brinquebalants ou les trains du bout du monde et de s’enfoncer dans un désert ou une cordillère, pour peu qu’il puisse se rattacher à l’hypothétique adresse d’un contact, à l’éventualité d’une structure d’accueil ? Débarquer chez les Khorawaïs de Papouasie, certes, mais avec le nom du missionnaire en poste. L’établissement de relations plus chaleureuses est l’apanage du nomade qui, arrivant épuisé et démuni dans un recoin de la planète, reçoit tout de ses hôtes d’un soir : le gîte, le couvert, l’amitié, l’admiration souvent. Cependant, l’heureux détenteur d’un billet retour et d’une carte Visa ne saurait longtemps compatir, et donc rester sur un plan d’égalité, avec les populations qu’il lui est donné de côtoyer. S’il est séduisant de passer une journée dans un campement bédouin, il peut devenir funeste d’y séjourner. Le nomade, que l’on sait de passage, ne crée pas de rivalités ; le sédentaire, fût-il récemment installé, en engendre vite. Quant à la notion de dépassement, elle se révèle très relative. Quitter son lit, sa baignoire et son réfrigérateur est un exploit pour certains ; voyager sac au dos, mais par des moyens conventionnels, en est un pour d’autres ; crapahuter ou pagayer en autonomie complète est absolument nécessaire à ceux – fort rares, il faut en convenir – qui considèrent que l’effort et la tension vers un objectif modifient leur propre perception du monde, les rendant pauvres et disponibles, et les ouvrant au champ infini des rencontres et des émotions imprévisibles. Pour eux, ni liaison radio, ni équipe de tournage, ni site Internet qui rende compte au jour le jour de leurs efforts ; pas de voyage de reconnaissance avant le départ, pas de gloire au retour ; juste ce lien fort et privilégié avec la nature et les habitants de la planète que l’homme en marche tisse dans son cheminement. Cette force du corps et cette pureté de cœur résultent d’une démarche inscrite dans la durée. Cette forme d’ascèse et de quête intérieure qui, dans les situations les plus périlleuses, pourrait laisser croire que la providence existe, et que, dans les rencontres vraies, le monde est resté à l’état de pureté originelle. S’étant abandonné aux incertitudes de la météo, l’homme jouit alors de la contemplation de la nature ; pleinement exposé aux risques du voyage, il goûte enfin la plénitude de l’instant et perçoit la beauté immarcescible du monde et des êtres.
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