Santa Cruz del Quiché – Quiché (Guatemala)
Année 2005
© David Ducoin
Chicha et ayahuasca :
« J’observe les femmes shuars dans leurs gestes quotidiens que je souffre de ne pas connaître. Je regarde Martin qui mange à pleines mains et à pleines dents, et je souffre de ne pas réussir à faire de même. Je marche dans la forêt, les oreilles et les yeux grands ouverts, et je souffre d’être sourde et aveugle. Je partage le quotidien de Luis, Ramón, Martin et des autres habitants de San Luis, et je souffre de ne pas faire partie d’une communauté forte, saine et soudée. Comment ne pas aspirer à cette connaissance pure que détiennent les Shuars : la connaissance de son milieu, de la place que l’on y tient ? Comment ne pas voir là une clé du bonheur ? Être ce que l’on respire, ce que l’on mange, ce que l’on touche. Incarner sa terre et non la posséder. Faire partie du Tout. Vivre le jour présent pour ce qu’il est. Vivre pour vivre, et non pour rentabiliser sa vie. Comment ne pas chérir ce mode de vie qui n’est pas le mien, qui m’effraie et m’attire à la fois, qui me rappelle mes origines ? Comment ne pas craindre de le voir disparaître, lui qui est l’un des derniers liens qu’il me reste avec mon passé et mon instinct de chasseur-cueilleur ; qui est ma mémoire d’être humain autant que la leur ; qui est ma conscience ? Comment ne pas m’effrayer de ce qu’il adviendra si le vent de folie soufflé par notre société emporte tout sur son passage ? Comment ne pas souhaiter que le béton, les tôles et les papiers gras qui jonchent le sol disparaissent de cette partie du monde, que les substances chimiques s’évaporent des rivières, que les missionnaires n’aient jamais mis le pied en Amazonie, que les colons n’aient jamais introduit l’argent et les moyens d’en gagner, que je n’aie jamais été témoin de ce que je vois ? »
Odyssée amérindienne (L’), À la rencontre des peuples premiers
(p. 250-251, Transboréal, ? Sillages », 2016)