Vue sur le quartier Crater d’Aden, depuis le Jebel Shamsan (Yémen)
Année 2008
© Laurent Barroo
Bâb al-Sabah :
« Lui, l’expert en développement, qui consacrait tant d’efforts, toute sa carrière, au progrès, à l’entrée dans la modernité, le voici qui se dirigeait avec hâte vers les quartiers anciens et préservés de Sana‘a. Il fuyait la ville moderne pour se réfugier dans le calme et l’humanité de l’antique cité. Lui, l’expert en développement qui enfin était appelé au plus haut des échelons de son métier, redescendait avec plaisir vers la partie de la capitale qui refusait le plus de se développer? et s’y dirigeait avec la conviction d’y trouver la sérénité ! L’ironie de la situation se révéla agréable. Dans cette descente désormais consciente, qui à elle seule pointait du doigt l’absurdité de son ascension professionnelle, Gérard retrouvait le piquant qui constitue le sel de la vie (“Dûn bisbas, al-salta mâ lahash ta‘m ! Sans piment, la salta n’a pas de goût !” lui répétait régulièrement son chauffeur avec amusement). Ainsi soit-il ! La voiture laissait dans son dos la moderne Sana‘a ; au bout de l’avenue Zubairi se dressait désormais le bloc compact, couleur de terre, des nobles maisons-tours de Sana‘a al-Qadîma, à l’abri derrière d’épais remparts. Gérard admettait maintenant que tous ses efforts pour le développement, quand bien même il leur consacrerait vingt-cinq ans de plus, ne parviendraient jamais à reproduire une telle merveille. Au contraire, l’univers pour lequel il avait déployé tant et tant d’efforts se trouvait dans son dos? »
Qat, honneur et volupté, Nouvelles du Yémen
(p. 174-175, Transboréal, ? Voyage en poche », 2016)