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Sur les berges de la Seine à Conflans-Sainte-Honorine – Yvelines (France)
Année 2014
© Émile Omnès
Libraire de Quilombo, passionné de Panaït Istrati.

Conclusion :


« Si je suis tombé sous le charme du conteur roumain, sa conception de l’amitié et son sens du détail y sont pour beaucoup, bien évidemment. Cependant, en écrivant les dernières lignes de ce livre, heureux d’apercevoir enfin le bout du tunnel, je me rends compte de l’importance d’un autre aspect d’Istrati, moins enchanteur mais tout aussi extraordinaire : travailler sans relâche. Furieusement. Jusqu’au bout. Écrire est déjà un acte relativement difficile en soi. Pour moi, c’était un rêve à la limite du fantasme. Et lorsque l’on n’a pas poursuivi d’études supérieures, que l’on possède comme bagage littéraire la culture que l’on s’est constituée en autodidacte, que l’on doit travailler douze heures par jour pour gagner son pain, la tâche paraît insurmontable. Que de fois j’ai failli y renoncer ! Contre vents et marée, le vagabond, lui, n’a jamais abandonné ses rêves. Et les tempêtes rencontrées ont été d’une tout autre ampleur que les miennes. Alors, j’ai suivi ses pas. Devant mon écran et mes cahiers, je pensais à Istrati, enfermé dans sa chambre à Leysin, en train d’apprendre péniblement le français sur ses innombrables fiches de vocabulaire. Je l’imaginais s’esquinter les yeux devant son dictionnaire roumain à la lumière d’une minuscule bougie, après avoir effectué ses quinze heures quotidiennes dans l’infâme taverne de Braïla. Je le voyais ronger ses heures de sommeil pour en arracher des lambeaux de vie et des perles de lecture. Et quand le désespoir frappait à la porte et que les amis étaient loin, trop loin pour l’empêcher de se faufiler jusqu’à mon esprit, je relisais ce passage de Mikhaïl pour m’insuffler l’énergie nécessaire afin de poursuivre la bataille engagée contre l’impossible : “Ami vaincu par la solitude, où que tu te trouves, dans ce monde, ressaisis-toi et sois grand comme la joie, comme la douleur, devant l’inconnu qui vient t’offrir promptement son cœur ! Ne marchande pas le trésor que tu caches au trésor qui t’est offert ! Quels que soient les orages qui aient pu dévaster tes espérances, sois noble, sois confiant, crois toujours à la propre chaleur de ton âme et ne la refuse jamais à l’assoiffé qui te la mendie.” Les sacrifices demandés n’ont jamais entamé mon désir de partager l’œuvre de l’écrivain grâce à l’écriture. Car la vie d’Istrati est un hymne formidable à la lutte permanente. Et à force de la lire, je crois avoir compris qu’avant de se révolter contre le monde entier, lutter contre soi-même et ses propres démons est la première étape de la vie du véritable révolutionnaire. »


Extrait de :

Panaït Istrati, L’amitié vagabonde
(p. 160-161, Transboréal, ? Compagnons de route Â», 2015)

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