Plage de Nexpa – Michoacán (Mexique)
Année 2010
© Kristel Michoux
Réminiscences :
« Impossible de savoir laquelle, de l’eau ou de la glisse, m’a séduit la première. Peut-être faut-il remonter à la naissance, au grand saut ? Je glissai au monde après avoir flotté des mois dans le ventre de ma mère?
Ma seule certitude remonte aux premières vagues, lorsque des heures durant je restais dans l’eau glaciale, essayant de dompter ma planche sur des paquets d’écume. L’automne était propice, il amenait les fortes marées, les tempêtes et la houle ; le froid aussi. Malgré l’onglée, les dents qui claquent, l’hypothermie parfois ; malgré les vagues capricieuses, le vent ou les forts courants, je savais que ces moments, immanquablement, me transporteraient de joie.
Des promeneurs interdits s’arrêtaient un instant pour m’observer depuis la digue qui longe la plage de Dunkerque. Le spectacle n’avait rien de grandiose et ils n’admiraient pas les prouesses d’un surfeur aguerri. Non, bien au sec, emmitouflés dans leurs anoraks, ils regardaient ce gosse se démener dans la mer du Nord en plein mois de novembre, s’interrogeant peut-être sur les raisons étranges qui l’avaient conduit là.
Pendant longtemps je ne me suis pas posé la question, ou plutôt je n’ai pas su la formuler, tant le surf s’exempt de l’énoncé, tant il est intuition et sensation pures. Guidé par l’instinct et l’ivresse, je sillonnai les rivages d’Europe à la rencontre d’autres paysages, d’autres formes, de couleurs et d’émotions variées. J’allai jusqu’au milieu de l’Atlantique sur les plages de São Miguel aux Açores ou celles de Cornouailles en Grande-Bretagne. Je renouvelai mes voyages en Aquitaine et en Bretagne, me mêlai aux hippies et aux surfeurs marginaux qui vivent leurs rêves d’été sans fin sur les étendues encore désertes des côtes portugaises. Car moi aussi, sans le savoir, je nourrissais un rêve. Percevant dans l’eau l’écho lointain d’une vérité primitive, je cherchais l’union sublime entre l’homme et son monde, le surfeur et la vague.
Plusieurs années passèrent et après une longue apnée loin de l’horizon, je retrouvai le goût du sel, qui ne m’avait pas quitté. J’étais sous les tropiques, au Mexique, immergé dans une dimension nouvelle, bien loin du climat et des paysages de mon enfance. La houle du Pacifique formée au large des Aléoutiennes franchissait l’archipel d’Hawaii avant de venir s’écraser sur des côtes escarpées, couvertes d’une nature exubérante. J’appris, parfois avec fracas, à en mesurer la puissance inouïe, l’erreur laissant peu de chance à celui qui s’obstine. Je remontai la côte pour surfer les vagues mythiques de Barra de la Cruz, Puerto Escondido, Nexpa, La Ticla ou Pascuales. Je partageai le crépuscule avec des Hawaïens, des Californiens, des Australiens, ceux-là même qui incarnaient l’esprit du surf et le souffle contestataire des années 1960. L’eau désormais était chaude, les palmiers avaient remplacé les usines de ma ville natale, les badauds troqué leurs vêtements chauds pour des shorts à fleurs et la houle atteignait des hauteurs inquiétantes. Pourtant, là-bas comme sur mes premières vagues, intensément grisé par le frisson du surf, je sentais que rien n’avait changé. »
Instinct de la glisse (L’), Petit hymne au surf, aux vagues et à la liberté
(p. 11-13, Transboréal, ? Petite philosophie du voyage », 2011, 4e éd. 2023)