Marc Tardieu

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Delhi (Inde)
Année 2009
© Claire Tardieu
Historien, spécialiste notamment de l’immigration et des communautés en France. Adepte du bouddhisme.

Un lent cheminement :


« Qui êtes-vous, Lord Bouddha, pour nous séduire au loin, des siècles après ? Quel est donc le secret de votre irrépressible sourire ?
Je ne saurais reconstituer exactement le premier souvenir que j’ai de vous. Il me semble que vous fûtes absent de mon enfance. Peut-être le poids de mes angoisses y était-il trop prononcé : si je vous avais alors rencontré, je me serais sans doute détourné, comme quelqu’un qu’éblouit l’éclat brutal du soleil. Mon image de référence était plutôt le Christ sur la croix. Il me semblait que le seul fait de vivre impliquait une dimension sacrificielle. En tant qu’Occidental, je bénéficiais pourtant de conditions plutôt favorables, notamment sur le plan matériel, par rapport à bon nombre de mes contemporains. Jamais ma vie n’est tombée sous le seuil de pauvreté. Des accouplements de mots se forgèrent assez naturellement dans mon esprit : faim/manger, fatigue/dormir, maladie/médecin ; alors que tant d’autres, sur cette planète, ne goûtent qu’aux premiers de ces termes. Carence matérielle des pays pauvres, vide spirituel des pays riches, ce sont là des poncifs largement rebattus et pourtant, il me faut bien expliquer par là ce qui me mena vers vous.
Mais d’abord j’ai cessé d’être chrétien, durant mon adolescence, sans que je puisse en expliquer la raison. L’influence de professeurs, souvent marxistes ou marxisants et quasi exclusivement athées dans cette banlieue nord de Paris où j’ai grandi ? Toujours est-il qu’un jour Dieu a quitté mon crâne. Je me souviens de cette cour de lycée où nous nous employions à deux ou trois à détourner l’un de nos camarades qui se disait chrétien de ce que nous qualifiions de chimère. Nous ne parvînmes jamais à ébranler sa conviction solidement établie mais, en ce qui me concerne, j’allais ainsi jusqu’au bout de mon athéisme. On m’aurait alors conté la vie du Bouddha que j’y aurais probablement perçu un autre Dieu et l’aurais traité de la même façon. Ni Dieu ni maître pouvait se décliner à l’infini. Ni Allah, ni Bouddha. Ni Marx, ni Proudhon. Je m’enveloppais dans une tranquille négation qui me semblait un vêtement confortable. Tout en pratiquant le thèse-antithèse-synthèse des devoirs scolaires, je m’enfermais, sitôt revenu en moi-même, dans la seule antithèse. Précisons ici que j’appartenais à ce qu’on appelle la “Bof génération”, celle qui eut 20 ans à la fin des années 1970 ou au début des années 1980.
C’est quelques années plus tard que j’ai rencontré le bouddhisme. Sans doute cherchais-je alors l’intensité d’un engagement, un idéal, une réparation intérieure aussi, car les nuages sombres du scepticisme avaient fini par ternir mes rêves d’enfance et je ne me voyais plus vraiment de raison d’être. Une question accompagnait chacun de mes pas : à quoi bon ? Le Bouddha me fut d’abord présenté comme un médecin de la vie, révélateur du pouvoir de la prière et de la foi. Lui aussi, en son temps, appartenait à une sorte de “Bof génération”. Le brahmanisme ancestral, avec ses dieux et ses castes, ne faisait plus tout à fait autorité. Des maîtres nihilistes pénétraient dans la brèche des croyances et proposaient des enseignements contradictoires, les uns niant l’esprit et les autres la chair, certains prétendant que rien n’avait de sens tandis que d’autres affirmaient que tout étant déjà tracé et planifié, l’être humain n’avait plus qu’à suivre le fil d’une destinée imposée. »


Extrait de :

[TRAPPÉVE]
(p. 14-17, Transboréal, ? Petite philosophie du voyage Â», 2010)

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