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Sur les falaises d’Étretat – Seine-Maritime (France)
Année 2010
© Vanessa Balen
Auteur à succès de biographies musicales et d’une sĂ©rie de polars dans les vignes.

Le vin des grands-pères :


« Nos paysages se dessinent au dĂ©tour d’un chemin cabossĂ© quand surgissent les règes palissĂ©s du MĂ©doc, dans une combe isolĂ©e oĂą le grenache domine la mer, derrière un muret de pierres sèches oĂą se tordent des ceps de viognier, à l’abri d’une croix plantĂ©e dans les CĂ´tes-de-Beaune, sous le ciel ombreux des vallons de Saint-Amour, au creux des falaises angevines ou des grottes tourangelles, à l’approche d’une chartreuse masquĂ©e par une croupe de merlots, à la vue d’une cabane de vigne accrochĂ©e sur des pentes couvertes de syrah ou d’un pigeonnier perdu dans des vagues de malbec. Oui, le vin et la vigne sont partout.
Très jeune, j’ai su que j’appartenais à cette civilisation. De temps à autre, mon grand-père paternel saisissait la bouteille de rouge et me versait un fond de verre qu’il coupait d’une grande rasade d’eau fraĂ®che, prĂ©textant que cela ne pouvait pas me faire de mal. En effet, j’en suis sorti indemne. Certains considĂ©reront que c’est une Ă©ducation pĂ©rilleuse, une incitation à l’Ă©thylisme. En vĂ©ritĂ©, il s’agissait là d’une coloration symbolique. Un petit rituel initiatique oĂą l’on coupe le vin comme on excise un prĂ©puce.
Papy Ă©tait un buveur prudent et parcimonieux, un PyrĂ©nĂ©en qui n’envisageait pas de consommer d’autres flacons de rouge que ceux de Bordeaux et de Madiran. Pas d’autres eaux-de-vie que celles d’Armagnac, point de moelleux hors du Jurançon. Et quand on se laissait aller à dĂ©sirer quelques bulles, on s’offrait une blanquette de Limoux ou un Gaillac perlĂ© à base de mauzacs. Les Gascons ont l’appĂ©tit et la soif solidaires. On se fournit chez les voisins. Au-delà, c’est dĂ©jà l’Ă©tranger. Ce serait trahir les siens que de goĂ»ter un raisin pressĂ© loin des terres occitanes.
La première fois que j’ai bu le vin sans eau, ce fut avec mon autre grand-père, un montagnard qui passait le plus clair de ses journĂ©es à pĂŞcher la truite. À l’heure du casse-croĂ»te, il tendait ses bras au-dessus du visage, la zahato en peau de bouc dressĂ©e vers le ciel, puis il inclinait lĂ©gèrement la nuque en arrière et pressait l’outre avec dĂ©licatesse pour diriger un jet dru et violent qui lui frappait le gosier. Souvent je l’ai imitĂ©, essayant de boire à la rĂ©galade et me barbouillant les joues d’un vin qui avait des relents de troupeau, des tanins de carne sauvage. C’Ă©tait un vin d’altitude et de bivouac, qui sentait la poix et la bergerie, un pinard animal. Je n’en ai plus jamais connu de semblable. »


Extrait de :

Les Mystères du vin, Petite enquête sur le sang des vignes
(p. 12-14, TransborĂ©al, ? Petite philosophie du voyage Â», 2014)

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