Siméon Baldit de Barral

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Riez-la-Romaine – Alpes-de-Haute-Provence (France)
Année 2016
© SimĂ©on Baldit de Barral
Journaliste, auteur et rĂ©alisateur de documentaires. A rĂ©alisĂ© un tour du monde et de nombreux voyages en auto-stop à travers l’Europe et l’AmĂ©rique du Sud notamment.

Vers le dĂ©passement de soi :


« Le rĂŞve amĂ©ricain, matĂ©rialisĂ© par la puissante berline, garante affichĂ©e de libertĂ© et de rĂ©ussite, commence à avoir du plomb dans la carrosserie? En surdose d’avoir, une partie de ma gĂ©nĂ©ration semble s’intĂ©resser à l’ĂŞtre, ce qui la conduit à une volontaire simplicitĂ© matĂ©rielle. On lui a pourtant enseignĂ© comme fondamentale la pyramide de Maslow, qui classifie en cinq strates les nĂ©cessitĂ©s humaines. Les besoins physiologiques (manger, boire, dormir) sont à la base du triangle. Viennent ensuite s’empiler ceux de sĂ©curitĂ©, puis d’appartenance, d’estime et, enfin, de rĂ©alisation de soi. Le postulat implicite est qu’il faut s’assurer des couches les plus fondamentales pour apprĂ©hender les plus Ă©levĂ©es. Alors, naturellement, comme je l’ai fait, on entreprend de grandes Ă©tudes, afin de trouver une bonne situation sociale, stable, car c’est cela, a-t-on appris, qui nous permettra de nous rĂ©aliser. Ce faisant, on se met en quĂŞte d’un bonheur qui, sans cesse, s’Ă©loigne. Car il nous en faut toujours plus. Envie, appĂ©tit, addiction. Le sens s’est perdu en chemin, et nous progressons par peur de manquer. Sans crier gare, la pyramide s’affaisse, laissant toute la place aux besoins de base qui ne cessent de s’Ă©largir, tandis que la rĂ©alisation de soi sommitale est oubliĂ©e? En stop, heureusement, c’est tout l’inverse ! Les besoins fondamentaux importent si peu que j’en suis moi-mĂŞme Ă©tonnĂ©. Ils ne sont certes pas inexistants, mais rĂ©duits à leur strict minimum. Manger ? Quand l’occasion se prĂ©sente, la prioritĂ© Ă©tant donnĂ©e à la route et à la rencontre. L’estomac s’adapte. Pris dans le jeu, il m’arrive de passer une journĂ©e sans rien ingurgiter. Dormir ? Ce peut ĂŞtre n’importe oĂą, près d’une station-service quand il n’y a pas mieux? La sĂ©curitĂ© ? Juste ce qu’il faut, sans aucun surplus, sinon on ne partirait pas. L’appartenance ? On quitte son groupe, sa communautĂ©, sa famille. L’estime de soi ? Elle aussi est mise à mal quand le doute s’instille après des heures d’attente. Reste la rĂ©alisation de soi, qui est à la fĂŞte et tend vers une sixième strate qu’Abraham Maslow lui-mĂŞme avait voulu ajouter à sa pyramide, qu’il jugeait incomplète sans cette dimension : le spirituel. Dans certains moments de dĂ©passement, j’ai mĂŞme l’impression que la pyramide se retourne, et que je me trouve sur le chemin de ma rĂ©alisation. L’estime que j’ai de moi en sort grandie. La sensation d’appartenance est satisfaite avec l’inconnu qui vient de me prendre en stop. Je ne le connaissais pas quelques secondes auparavant, mais une complicitĂ© vient de s’Ă©tablir, qui va pouvoir s’Ă©panouir au fil de la conversation. Je n’appartiens plus à une petite communautĂ© mais à un tout, plus large. La sĂ©curitĂ© est garantie par cet Ă©tat de confiance rĂ©ciproque. Quant aux besoins physiologiques, ils sont donnĂ©s de surcroĂ®t : invitations à dormir, à manger un morceau, à boire – elles me surprennent toujours mais ne sont pas si rares. Le chemin du dĂ©passement de soi assure l’accomplissement naturel de ces besoins. C’est ce qu’ont compris les sages sâdhu, que l’on peut rencontrer sur les routes de l’Inde et qui ont renoncĂ© à tout bien matĂ©riel pour se consacrer à leur quĂŞte spirituelle. C’est ce que professent aussi certaines familles qui, au Moyen-Orient ou ailleurs, oublient leurs tourments et interrompent leurs activitĂ©s pour accueillir le voyageur, possible envoyĂ© du Ciel. À l’heure oĂą la planète souffre de nos appĂ©tits trop aiguisĂ©s, voilà ce qui serait bienvenu : une simplicitĂ© volontaire de chacun. »


Extrait de :

Les FacĂ©ties du stop, Petit embarquement pour l’aventure et les rencontres sur le pouce
(p. 85-88, TransborĂ©al, ? Petite philosophie du voyage Â», 2019)

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