Sur les traces arméniennes

           


Julien Demenois et Anne Heurtaux cherchent, du Liban à l’Inde, trace des vestiges et des peuplements arméniens.


2. Géorgie et Arménie, les faux jumeaux du Caucase


La Géorgie et l’Arménie présentent beaucoup de caractéristiques communes, à tel point que le voyageur pressé pourrait les prendre pour des pays jumeaux. Les deux anciennes républiques fédérées soviétiques faisaient partie du glacis caucasien des Russes face aux Turcs et aux Perses. À la croisée de ces trois empires, ces deux petites nations chrétiennes ont fait l’objet de multiples conquêtes. Pourtant, n’allez pas confondre un Géorgien et un Arménien, sous peine de froisser l’un ou l’autre !
Leur fierté de peuples à l’histoire millénaire est telle qu’ils semblent se disputer la primauté dans nombre de domaines et cultiver les particularismes. Si l’Arménie est le premier pays au monde à avoir adopté le christianisme comme religion d’État, en 301, la Géorgie est le deuxième, ayant toutefois choisi la confession orthodoxe en 317 : à l’un saint Grégoire l’Illuminateur, à l’autre sainte Nino. Si la Géorgie et l’Arménie se partagent le Caucase, la première occupe le Grand Caucase aux sommets qui dépassent les 5 000 m, tandis que la seconde doit se contenter du Petit Caucase qui peine à atteindre les 4 000 m. Quoique leurs langues et leurs alphabets n’aient aucun équivalent, ils n’ont rien de similaire : la langue géorgienne est caucasienne alors que l’arménienne est indo-européenne. Leurs écritures aussi sont de faux amis, même si leur déchiffrage, peu aisé, déroute pareillement l’étranger. Les Arméniens disent d’ailleurs que Mashtots, l’inventeur de leur alphabet, a créé celui des Géorgiens en renversant une assiette de vermicelles ! Ces deux peuples ne sont visiblement pas avares en plaisanteries de voisinage.
Cependant, la réalité géopolitique de la région se révèle plus compliquée que ces simples railleries. Sur le grand échiquier soviétique, les Géorgiens et les Arméniens ont fait partie des pions déplacés. Tous deux ont connu les oppressions, les déportations en Sibérie, les recolonisations de régions entières et les découpages frontaliers qui ont suscité une instabilité politique et continuent à en créer : l’Abkhazie et l’Ossétie sont des régions autonomes au sein de la Géorgie, le Karabagh et le Nakhitchevan ont été rattachés à l’Azerbaïdjan malgré leur peuplement majoritairement arménien. Sous l’ère soviétique, certains Géorgiens se sont aussi convertis à la religion des Arméniens (Église apostolique), dont les Russes toléraient la pratique, afin de pouvoir continuer à pratiquer leur foi. À Metani, à proximité de la vallée de la Pankissi, gisent ainsi les ruines d’une église arménienne au dire des habitants.
Aujourd’hui, environ 450 000 Arméniens vivraient en Géorgie, essentiellement à Tbilissi, qui compte un quartier historique de cette communauté, et dans la région frontalière de l’Arménie, la Javakhétie, où ils se sont installés à la suite des guerres russo-turques du XIXe siècle. Trop semblables pour vraiment s’aimer, Géorgiens et Arméniens cultivent toutefois le même art de la table et de l’hospitalité. Après quelques verres de vin du pays, leurs différences s’estompent et ils redeviennent les frères du Caucase qui trinquent à la paix des peuples et à Charles Aznavour, le plus Géorgien des Arméniens. Gaumarjos ! – À la victoire !

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