Sur les traces arméniennes



Julien Demenois et Anne Heurtaux cherchent, du Liban à l’Inde, trace des vestiges et des peuplements arméniens.


1. Histoire de la diaspora arménienne


Le commerce
La relation des Arméniens au commerce s’expliquerait, d’après R. H. Kévorkian, par les éléments suivants :
• la structure des sociétés ottomane et perse laissait le pouvoir commercial et financier aux élites issues des minorités non musulmanes ;
• le besoin de ces sociétés en échanges extérieurs ;
• une tradition d’échanges entre l’Asie et l’Europe depuis l’Antiquité ;
• la position géographique du pays et la paix relative dans cette région après 1600 ;
• l’existence d’un réseau de commerçants arméniens disposant de relais dans diverses villes.

Comme le souligne R. H. Kévorkian, le commerce de la soie reste sans nul doute le négoce de prédilection pour les marchands arméniens du XVIIe siècle. Composées de marchands arméniens, les caravanes étaient aussi placées sous leur direction. Au Proche-Orient, le commerce se faisait par voie de terre. Deux routes caravanières, communes depuis Tabriz, en Iran, existaient à cette époque :
• La voie méridionale qui la reliait à Alexandrette en Syrie (l’actuelle Iskenderun turque), via le nord du lac d’Ourmia, iranien, et le lac de Van, turc ;
• La voie septentrionale qui la reliait soit à Alexandrette, soit à Smyrne ou à Istanbul, via la vallée de l’Araxe, en Arménie, et Erzurum, en Turquie.

Les marchandises en provenance d’Extrême-Orient et d’Inde arrivaient essentiellement par voie maritime à Bandar Abbas, en Iran sur le golfe Persique, d’où elles partaient pour Ispahan puis Tabriz. Depuis les années 1603-1605, le quartier arménien de la Nouvelle-Djoulfa avait été fondé à Ispahan à la suite de la déportation, pour des raisons stratégiques et économiques, des Arméniens de Djoulfa, sur l’Araxe, par le shah Abbas Ier. L’extension vers l’est du commerce arménien serait précisément due au succès des négociants de la Nouvelle-Djoulfa, qui étaient 60 000 alors. La Compagnie des marchands arméniens de Djoulfa bâtit sa prospérité sur le négoce international de la soie, des pierres et des bois précieux, des épices et des teintures. Elle étendit un réseau de comptoirs depuis l’Inde (Madras, Calcutta), la Chine, l’océan Indien jusqu’à la Méditerranée, la Belgique et la mer du Nord. Sur le sous-continent indien, les navires reliaient Bandar Abbas aux grandes villes commerciales de l’Inde où se trouvaient des colonies arméniennes : Agra, Delhi, Saïdabad, Madras, Calcutta. L’organisation de ces colonies se faisait autour d’églises, voire d’écoles, d’où les traces arméniennes que nous avions relevées, avec étonnement par ignorance, lors de nos voyages en Inde et au Bangladesh.

En 2005, des chercheurs de l’université de Bichkek, au Kirghizistan, ont découvert un monastère arménien du XIVe siècle sur les rives du lac Issyk-Koul. Ce monastère figurait sur une ancienne carte éditée à Venise par des négociants de la route de la soie. Il aurait donc existé une voie terrestre entre l’Iran et l’Extrême-Orient parcourue à l’époque par les marchands arméniens et passant par l’Asie centrale.

Guerres et oppressions
La guerre, certes liée au commerce, serait à l’origine de la déportation d’Arméniens de la Nouvelle-Djoulfa vers Kaboul, en Afghanistan. En 1722, Mir Mahmoud pilla la ville d’Ispahan et emmena 60 familles d’artisans arméniens à Kaboul. Quelques années plus tard, ce sont 500 Arméniens d’Ispahan qui y sont à nouveau installés. En 1737, les commerçants et artisans arméniens y construisent une église.

En 1995, le nombre d’Arméniens dans le monde était estimé à 6,5 millions. La moitié seulement vivrait actuellement en Arménie ; 1,1 million d’autres se répartiraient dans les autres républiques de l’ex-URSS, parmi lesquelles la Géorgie (450 000), le Turkménistan (6 000), l’Ouzbékistan, le Kirghizistan (3 300) et le Tadjikistan (6 800). Les communautés du Liban et de la Syrie compteraient chacune 100 000 Arméniens, et 81 000 celle de Turquie.

Leur présence y est avant tout due aux guerres et oppressions passées. Selon A. Ter Minassian en effet, « montagnards robustes, [les Arméniens] furent aussi d’excellents soldats recrutés, de gré ou de force, par les souverains qui dominèrent le Proche-Orient ». Dans l’empire byzantin, les Arméniens auraient eu une « vocation impériale » en apportant des cadres mais aussi des empereurs.

La domination arabe en Arménie au IXe siècle fait émerger deux royaumes arméniens : l’un au nord, dont la capitale est Ani ; l’autre au sud, dont la capitale est Van. Les invasions turques au XIe siècle enclenchent des migrations collectives arméniennes. Après 1071, des réfugiés arméniens cherchent asile au sud du Taurus, en Turquie. Un nouvel État arménien, le royaume de Cilicie, est fondé. Il est ouvert sur la Méditerranée et perdurera pendant trois siècles. Sa capitale, Sis, tombera en 1375. Il faudra attendre 1918 pour qu’un État arménien indépendant soit à nouveau créé.

Dans l’empire ottoman, les massacres hamidiens (1894-1896) puis ceux d’Adana (1909) provoquent la fuite des Arméniens, notamment vers le Caucase, le Liban et la France. Les déportations et les massacres ordonnés de 1915 à 1923 entraînent la fuite et la dispersion des populations survivantes vers la Syrie (Alep, Damas), le Liban, l’Iran, la Géorgie, la France, les États-Unis. En 1939, la rétrocession par la France du sandjak d’Alexandrette à la Turquie entraîne un nouvel exode des Arméniens de cette région vers la Syrie. Les Arméniens du Mussa Dagh sont installés par les militaires français à Anjar, au Liban. D’après A. Ter Minassian, la diaspora arménienne actuelle est faiblement structurée. Sa caractéristique essentielle est la reproduction des principales institutions qui existaient chez les Arméniens à la fin de l’empire ottoman, à savoir l’église, les partis politiques, la presse, les associations (cultuelles, culturelles, sportives…), les écoles.

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