Un grand tour à vélo



9. Valérie, ou l'art de vivre en Tunisie


Quand nous sommes tombés sur Valérie, qui nous attendait toute souriante sur le pas de sa porte, nous venions de parcourir environ 140 kilomètres avec le vent dans le nez et de sacrées côtes à notre actif…
Nous étions cuits, rincés, vidés mais au premier regard, on s’est senti apaisés et écoutés. Le soir, au cours de notre repas, j’ai eu l’impression charmante de dîner en compagnie de Juliette Binoche. Le premier choc a définitivement été esthétique ! Valérie est une ravissante brunette, aux pommettes délicieuses et aux yeux qui brillent d’intelligence. Quelques taches de rousseur rehaussent son côté pimpant et son sourire exquis, simple et attachant. La seconde chose qui frappe chez cette femme, c’est qu’elle est bavarde. Mais pas de ce bavardage ennuyeux davantage fait pour meubler que partager sur ce que l’on est. Non, quand Valérie parle, c’est pour se livrer avec bonne humeur et beaucoup de sincérité.
Que voulez-vous, on ne renie pas ses origines. De son enfance à Avignon, la jeune femme a gardé le teint hâlé, l’accent chantant et le côté avenant. Après le lycée à Avignon, une math sup. et une math spé. à Montpellier, elle rentre à l’ENSAT Toulouse. Sur les bancs de cette école prestigieuse, elle s’amourache de l’agronomie, des défis écologiques… et, plus important encore, de son futur mari, Daniel.
Si « rien ne peut résumer un homme, pas même ses idées », disait Mourad Bourboune, il semble qu’un coup de foudre géographique pourrait résumer un peu la vie de notre hôte. Deux mots pour un mythe : l’Afrique. À n’en point douter, elle en est tombée amoureuse depuis que, jeune étudiante, elle a passé un an au Burundi. Là-bas, elle a beaucoup œuvré pour mettre en place des projets de développement agricole. Riziculture, gestion et optimisation de périmètres irrigués : elle a passé ces mois à tenter d’inculquer « des méthodes européennes à un environnement local ». Elle y a surtout découvert la richesse de prendre son temps. Être compétente, comprendre avant d’agir, faire preuve de pédagogie et d’un peu d’oubli de soi. Le cocktail d’une coopération réussie.
Mais on ne part pas un an en immersion sans en revenir grandi. Ce voyage l’a façonnée, a modifié sa manière de voir les choses et restera gravé à jamais.
Alors, forcément, quand elle rentre en France, la question de repartir se pose, insidieusement. Mais il était écrit que ce doux virus inoculé au Burundi prendrait un peu de temps avant de rejaillir. Elle quitte l’Afrique ensoleillée pour la verte Angoulême, où elle devient conseillère en environnement local. Elle y prend du coffre, de la bouteille, mais souffre de l’absence de Daniel, resté à Grenoble. Alors, elle trouve un poste en Isère, toujours dans l’environnement – manifestement sain puisqu’elle y restera dix ans : c’est là qu’elle se marie et qu’elle a la joie d’accueillir trois enfants, Sidonie, Cyprien et Marin. Des bambins charmants et malins en diable, à la maturité et la vitalité débordantes. Un challenge et une aventure de plus pour cette jeune femme qui, décidément, aime le changement et l’ailleurs.
Depuis quelques années, elle se sentait, avec son mari, un peu plus casanière, un peu « embourgeoisée ». Depuis le Burundi, le couple a beaucoup voyagé, notamment avec ses enfants, et n’a jamais vraiment détourné le regard de l’étranger. Comme Daniel était amené à travailler régulièrement dans des contrées éloignées, c’est tout naturellement qu’ils ont décidé de se donner « un bon coup de pied aux fesses » et ont travaillé à une expatriation. À tous les grands projets, il faut consacrer du temps. C’est finalement un an et demi après les premières démarches qu’ils arrivent à Tunis, à la fin du mois de décembre 2010.
À l’époque, le pays n’était guère troublé, et la poigne de fer de Ben Ali et de sa marâtre ne laissait rien transparaître de ce qui se tramait dans les chaumières et sur la toile. Le 14 janvier 2011, le peuple se soulève et, le jour même, le président quitte le pays après avoir tenu les rênes du pouvoir pendant plus de 23 ans. Valérie et sa famille sont aux premières loges ou presque, et vivent cet épisode historique « sereinement ». La fraîche expatriée discute avec ses voisins et se tient au courant de ce qui se passe chaque jour. Si ses enfants ont eu une petite crainte, ils se sont vite pris au jeu de cette révolution sans effusions de sang. Ils ont notamment assisté au pillage d’une maison qui appartenait aux Trabelsi. Les habitants (plus que des pilleurs) s’étaient fait fort de se venger à leur manière en allant se servir chez ceux qui leur avaient pris bien plus qu’une partie de leur liberté. Le tout « dans une ambiance vraiment bon enfant, où les gens applaudissaient ceux qui revenaient avec une chaise, un canapé, une télé ».
Pour autant, la vie d’expat’ n’est pas forcément une sinécure pour quelqu’un de très actif qui se trouve du jour au lendemain parachuté dans un nouveau décor, une autre culture et sans travail. Alors, Valérie décide de prendre six mois pour elle, son mari, ses enfants et sa nouvelle vie. Éternelle question que celle du temps : elle qui se plaignait d’en avoir manqué en France, la voilà servie ! Elle redécouvre le bonheur de passer beaucoup de temps avec ses trois enfants et retrouve, grâce à eux, sa capacité d’émerveillement. Son nouveau statut de mère au foyer à temps plein, elle l’organise comme ses journées professionnelles et fait tout pour « se créer des occasions ». Pour commencer, il lui faut apprendre l’arabe. Et puisque, pour elle, rester trois ans dans un pays sans parler la langue est un affront pour ses habitants, elle trime plusieurs heures par semaine et se réjouit des petits progrès quotidiens.
Aujourd’hui ? Valérie est globalement contente de sa vie. Si on prête l’oreille, impossible d’omettre le fait qu’elle se dit chanceuse même si elle considère, parfois, que c’est un peu mérité parce qu’elle s’est toujours donné du mal… Et puis, elle se reprend et rappelle, après un silence et comme une ultime confession, les plus beau cadeaux qu’elle a reçus : une éducation riche, une confiance et un équilibre décuplés par Daniel. « Oui, si j’avais à faire le bilan de ma vie, ce serait ça : j’ai eu énormément de chance. » Et nous donc, Valérie, de t’avoir rencontrée !


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