Un grand tour à vélo



1. Le Rouge et le Gris


Ils sont deux, ils sont prêts, et pour l’instant, ils sont seuls. Affûtés, ils ont le guidon tourné vers la même direction, ce qui est un minimum quand on prétend faire ensemble un grand tour à vélo. Le rouge, c’est celui de François, ou Paco d’ailleurs, puisque je ne l’appelle que comme ça. Le gris, c’est le mien, que j’ai nommé Antarès, nom de l’étoile la plus brillante de la constellation du Scorpion et de l’un des chevaux de Ben-Hur, le plus lent certes, mais le plus endurant. Brillance, endurance, autant de qualités qui me font défaut et dont j’aurai besoin pendant un an. Les noms, Paco s’en fout : son vélo s’appellera Bicyclette, un point c’est tout.
C’est donc sur ces deux montures que nous partons le 7 novembre, soit dimanche prochain, pour un périple d’un an à travers l’Afrique du nord, le Proche-Orient et l’Eurasie. Plus que cinq jours, donc. Cinq jours à ruminer avant de savoir si, oui ou non, nous avons le moral solide. Question cruciale, car nous avons dû reporter notre départ d’une semaine et essuyer dans le même temps quelques remarques bien senties, humoristiques ou sarcastiques : « Mais qu’est-ce que vous fichez encore là ? », « Vous partez plus finalement ? Ca y est, vous flippez déjà ? » Extraits choisis d’un verbatim fleuri qui a eu le mérite de nous mettre face à nos responsabilités.
Pourtant non, nous n’avons pas flippé. Force est de constater que nous avons sous-estimé le caractère excessivement pénible des administrations. Une palme sera décernée à la Libye, pays génial, dans ses critères d’obtentions de visa. Aujourd’hui encore, nous ne sommes pas sûrs, en dépit des contacts et nombreux échanges effectués, d’être en mesure de traverser ce pays. Outre ces tracas paperassiers, ces derniers jours furent bien remplis : on court, on vaque, on achète, on compare, on se tâte puis finit par choisir, non sans une certaine angoisse : quel appareil photo prendre ? Jantes 26 ou 28 pouces ? Polaire ou softshell ? Vache à eau ou jerricane ? Œuf ou bœuf ?… Autant de questions dérisoires qui deviennent pour nous essentielles, pour ne pas dire existentielles.
Si on en vient à penser que le plus difficile, dans un voyage, c’est sa préparation, on est rapidement ramené à la réalité en mesurant la tâche qu’il reste à accomplir : une vingtaine de milliers de kilomètres à vélo avec peu d’argent en 365 jours, et l’un avec l’autre 24 heures sur 24… « Tu enfanteras dans la douleur », prévient la Bible : voilà qui est juste.
Toutes proportions gardées, ce voyage, c’est notre bébé. Un vieux rêve qu’on classait dans le domaine du mythe et qui, peu à peu, s’est ouvert, offert à nous. L’itinéraire s’est tracé sur le globe, comme un enfant dessinerait gauchement la tête d’un bonhomme sur un bout de papier. Reste à accoucher, sur la route, de ce vieux rêve. À moins que ce ne soit la route qui accouche de notre rêve… Un proverbe romain dit : « Le courage croît en osant et la peur en hésitant. » Au fond, nous n’avons d’autre choix que d’avancer. D’ailleurs qui, à notre place, aurait envie de reculer ? La route est là, devant nous. Et elle attend, calme et silencieuse, le premier coup de pédale qui la libérera tout à fait.
« S’arrêter, lorsqu’on est sur une bicyclette, cela revient à tomber », avait coutume de dire Louis Mermaz, qui s’y connaissait en vélo, lui qui fut ministre des Transports sous Mauroy et Rocard. Il s’agirait de ne pas l’oublier cette semaine. Encore cinq jours…


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