Mayotte – archipel des Comores



Le sourire de l’océan Indien
Caribou ! bienvenue à Maoré, de ma, « derrière », et houri, « récif ». Un nom bien choisi pour cette île verte au doux relief de volcans usés, entourée de son lagon de 1 000 km2. C’est aussi l’île hippocampe, aux côtes étrangement découpées. L’approche aérienne par le nord est idéale : l’élégant morne du Dziani Bolé apparaît, qui domine le chapelet des îlots au large de Mtsamboro ; puis le platier, les prairies où se nourrissent les tortues, les bancs de coraux aux arabesques ocre ou blanches, enfin le bleu sombre qui succède au « tombant ». Un aperçu du lac Dziani au rond parfait, au nord de la Petite-Terre, et l’on atterrit à Pamandzi. Le voyageur se trouve propulsé en pleine Afrique : les bwéni se sont maquillées de leur masque blanc de poudre de santal ; leurs colliers d’or, leurs boucles d’oreilles et leurs innombrables bagues montrent leur rang et le prix qu’elles ont valu aux yeux de leur mari. Les hommes ont revêtu leurs longues chemises blanches. Les colliers de frangipaniers s’échangent dans les embrassades. Sur la barge qui mène à la Grande-Terre, chargée de sacs de riz, d’appareils ménagers et de régimes de bananes vertes, l’étranger tente de comprendre l’énigme de cette île, mélange de calme languide et d’agitation. Sur le pont ce ne sont que rires, mystérieux car il existe deux langues vernaculaires, le shimaoré, d’origine swahilie, et le shibushi, de provenance malgache – il y a peu encore, les jeunes gens de villages voisins ne se comprenaient pas toujours à l’école. Les îles de Quatre Frères ont disparu et la Grande-Terre est là, ourlée de palétuviers, avec ses sommets aux formes spécifiques. Au sud, le mont Choungi, gros doigt tendu vers le ciel ; tout près, le Bénara, parfait chapeau chinois ; au nord, campé tel le gardien de la passe de M’Tamboro, le Dziani Bolé ; au milieu, le dôme bienveillant du Combani. À l’arrivée, ne cherchez pas une ville coloniale. Le centre est là, autour de la tranquille place Mariage avec ses maisons de pierre et de bois gris, réservées au commerce de haut rang, banques, société de logements, et de la grouillante place du marché, dévolue aux échanges : épiceries, cotonnades, électroménager sont vendus sous les arcades par les karanes, des Indo-Arabes. Sur les pavés, les bwénis, redoutables et respectées, vendent leurs modestes tas de légumes : racines de manioc, pauvres tomates mal venues ou amas de citrons, combavas et bananes de toutes formes et de toutes couleurs – il en existe de violacées. Sous les parasols pèsent les odeurs des salades molles et les parfums des épices : clou de girofle, noix de cajou, curcuma. Au client potentiel, la marchande assise ou couchée par terre ne prête que peu d’attention.
La région du nord, celle de la brousse, est méprisée par les gens de Petite-Terre et les citadins de Mamoudzou ; pour le visiteur, c’est la plus dépaysante. Après les mangroves, Dzoumogné, archétype de la bourgade mahoraise avec sa glorieuse pompe à essence et sa vieille locomotive rigolote, témoigne de la brève exploitation de la canne à sucre. Auparavant, la brousse profonde était toute proche avec ses lémuriens criards ; désormais, la route a remplacé le sentier qui menait aux champs. Mais le macadam n’en impose pas aux zébus et cabris !
Gagner le sommet, c’est faire connaissance avec le monde paysan insulaire, et d’abord avec ses cocoteraies. Il s’y trouvera toujours un baco pour grimper vous décrocher un « coco boire ». Point de paille mais une petite cuillère découpée dans le chapeau du fruit. Près du gué qui traverse un cours d’eau autrefois riche en écrevisses, l’alambic artisanal pour distiller la fleur d’ylang, et de l’autre côté les cultures vivrières. Sous les manguiers, les habitants se reposent et apostrophent le passant d’un joyeux « Gégé », auquel il convient de répondre par un « Dgéma » sonore ; d’autres travaillent à la « gratte », seul type de culture sur l’île. Ils ont quitté le village tôt le matin pour y revenir, d’un pas pressé, avant la nuit tombée. Les djinns vont envahir la brousse avec leurs vieilles rancunes. Colportées de longue date, leurs malices et facéties sont maintenant vendues à la librairie de la place Mariage. Comment atteindre le mont Dziani derrière l’inextricable barrière d’ylangs, dont on devine de loin la présence à leur odeur suave et entêtante ? Les fleurs se cueillent à l’aube pour préserver leur parfum. Le chemin difficilement frayé, on tombe dans les pazzas. Coupés, brûlés, les bosquets d’eucalyptus ont laissé la place à l’argile rouge et stérile qui prendra la blancheur du kaolin. Le ruissellement a lissé les bosses, creusé des sillons et entraîné la terre vers la mangrove qui ne peut plus l’absorber. C’est ainsi que s’envase le lagon, malgré la reforestation récente. Le sommet est proche, voici le col encadré de deux manguiers. Il faut faire vite, car la nuit tombe d’un coup, annoncée par la stridence des cris d’animaux : affolement des lémuriens, appels angoissés des roussettes. L’ascension du mont Choungi permet d’admirer la côte sud, moins boisée, et de repérer la pointe de Saziley et sa réserve naturelle. Dans les ruelles de glaise de Moutsamoudou, des enfants demi-nus jouent à rouler de cocasses brouettes faites d’un pneu de voiture. Un chemin bordé de drolatiques baobabs mène à une crique peuplée de makis, clowns des manguiers et des kapokiers. Il suffit de nager au large pour atteindre le pâturage des tortues. La première étonne par sa masse et son indifférence, mais certaines, plus familières, viennent présenter leur poisson nettoyeur. C’est la nuit que l’on peut surprendre le dramatique et émouvant spectacle de la ponte.
À Mayotte, les insulaires invitent souvent le mzoungou, l’étranger, à visiter leur logis et à partager le plat local fait de feuilles de manioc pilées cuites dans le jus de coco et enrichies de cubes de poisson, ou à goûter aux pâtisseries. Parfois aussi à assister aux fêtes religieuses, lors de l’aïd el-kébir, qui signifie liesse et partage. Le dimanche, on entend le roulement d’un « tam-tam bœuf », corrida locale, ou le bruit de crécelles qui annonce un débah, concours de danse où les bwéni scandent le rythme avec des morceaux de bambous autour de celle qui secouera le mieux son bon derrière. Mayotte mérite bien sa réputation parmi les Comores, celle de l’île où l’on rit : ici, la vie est facile et légère, la nature généreuse et l’aide de la France précieuse. Au voyageur de découvrir ensuite si les trois autres îles de l’archipel, par-delà leur ressemblance avec leur sœur, ont bien l’âme qu’on leur prête : la Grande Comore, où se prennent les décisions, est l’île où l’on parle ; Anjouan, d’où arrivent les légumes, l’île où l’on travaille ; et la petite Mohéli, l’île où l’on dort.

Suggestions de visite :
• Dzaoudzi : au Rocher, ancienne capitale protégée par la mer, la préfecture est une belle demeure coloniale.
• Vers Moya, plages dans d’anciens cratères.
• La mosquée de M’Tsapéré rivalise avec celle de Moroni. Celle de Tsingoni est la plus ancienne de l’île (1541).
• Sada : fief de l’artisanat ; bijoux de fleurs d’ylang en filigrane et corail noir.
• Soulou : forêt tropicale et cascade.
• Sohoa : plage mahoraise typique et atelier de poteries. Non loin, belle plage de N’Gouja.
• Mont Combani : il domine la canopée et l’est et l’ouest de l’île. Beaux crépuscules.

Par Annie Malaise
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