Collection « La clé des champs »

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Couverture

Plumes des champs, Itinéraires paysans en Normandie
Ouvrage collectif


« Au fil de l’atelier d’écriture, ce qui se cache derrière la trompeuse évidence qu’il n’y aurait dans une vie de paysan rien de particulier se dévoile : le lien privilégié avec une bête, le rapport au troupeau, l’acuité du regard et du toucher qui décèlent une maladie, l’effort du corps au travail et sa confrontation avec celui de l’animal, le sens de l’observation qui évalue la pousse des semis et la maturation des fruits, la faculté de prévoir, de planifier et d’intervenir au bon moment, que ce soit pour une mise bas ou pour une récolte. »

Avec la collaboration de : Mireille Cadiou, Josiane Duédal, Agnès Gosselin, Dominique Jacob, Claude Le Dolédec, Jacqueline Lemiègre, Denis Loquet, Fabienne Nicolas, Armelle Pelcat, Emmanuel Pinchon
Avec des photographies de : Sophie Zénon
Avec une introduction par : Philippe Chenot

« Un beau jour de printemps, Agnès Gosselin, de la Chambre d’agriculture de l’Eure, m’appelle à mon bureau. Elle a pour projet de faire écrire des agriculteurs de Normandie sur leur métier, leur travail, leur vie. Elle se trouve régulièrement confrontée à la nécessité de faire comprendre les réalités des agriculteurs à des gens qui ne les connaissent plus. Désormais, après une journée de travail à la ville, on rentre chez soi à la campagne. On y recherche des terrains moins chers, une meilleure qualité de vie et le calme pour ses week-ends, des trajets moins encombrés sur la route du travail. Depuis longtemps, la campagne n’appartient plus aux seuls agriculteurs. Il faut apprendre à cohabiter. Si désormais tout le monde y vit, certains, les paysans, y travaillent encore. Mais entre voisins, parfois géographiquement très proches, on ne partage pas le même rapport à l’espace et au temps, ni au travail ni aux loisirs. Agnès Gosselin rêve de donner la parole aux agriculteurs, d’en faire peut-être un livre : qu’ils racontent, qu’ils fassent savoir, qu’ils se fassent connaître. Elle imagine des échanges entre paysans et urbains. Elle y croit. Elle en a déjà parlé autour d’elle. Il faut d’abord convaincre les premiers intéressés d’abandonner, pour quelques heures, leurs champs et leurs élevages. Leur proposer de s’asseoir autour d’une table et de se mettre à écrire. Le pari est un peu fou, un peu risqué. Passionnant. Accompagner des agriculteurs dans une expérience d’écriture sur leurs métiers… Une proposition rêvée, pour moi qui ai traversé bien plus de paysages que je n’ai rencontré de paysans. Cela me rend curieux. Pas un instant, je ne doute qu’ils seront en mesure d’écrire, de raconter. Il y a un projet d’ouvrage. Je sais que nous sommes partis pour une aventure au long cours. Mais il s’agit, d’abord, de recruter.
Treize mai 2005. Premier des trois jours de découverte de l’atelier d’écriture : cinq participants. Ils viennent “pour voir” quels jardins nous allons cultiver, mais surtout pour se faire plaisir, portés par l’envie d’écrire qui les taraude depuis plus ou moins longtemps. Lançons-nous… Derrière les vitres de la salle où nous nous trouvons, au Neubourg, une pelouse se transforme plus loin en prairie où broutent des chevaux. Trois lapereaux se promènent, s’arrêtent, oreilles dressées, se remettent à manger. Ils détalent soudain dans la même direction, leurs derrières blancs sautillant sous la boule soyeuse de leur queue. Un jeune merle, lui, n’a pas bougé.
Beaucoup de ceux qui sont venus écrivent ou ont écrit, un jour, en solitaire ou dans le cadre d’un atelier d’écriture. Je parle ici d’écriture personnelle, car comme le dira l’une des participantes : “Le métier d’agriculteur demande, aujourd’hui, une grande part d’écriture.” Eh oui, lui aussi. Cette femme ne sait pas si elle restera : elle est en train de quitter le monde agricole dont elle ne veut plus. Elle aurait beaucoup à en dire. Elle ne reviendra pas le deuxième jour : il est trop dur, trop violent pour elle, d’écrire sur ce qu’elle quitte. C’est trop proche, trop peu détaché d’elle. Alors qu’écrire sur son métier produit souvent un effet d’affirmation de l’identité professionnelle, comment s’engager dans cette écriture-là, sous le regard et l’écoute des autres, lorsqu’on ne souhaite plus rien en affirmer, si ce n’est de la colère ?
Agnès tourne autour de la porte de la salle, y entre en tant qu’organisatrice pour savoir si nous ne manquons de rien, pour régler quelques points d’ordre administratif. Elle profite du déjeuner pour demander si les uns et les autres sont contents. Visiblement, elle meurt d’envie de venir écrire. Alors, dès la deuxième journée, le groupe lui propose de se joindre à lui. Je n’y vois aucune objection, bien au contraire : sa position professionnelle peut apporter un contrepoint intéressant aux propos des agriculteurs. En juin, après les journées “pour voir”, tout le monde est conquis. On continue et, s’il se peut, jusqu’au livre. Mais il est évident que l’on pourrait être plus nombreux. L’idée jaillit d’organiser une matinée d’échange avec d’autres paysans sur ce que chacun vit à l’atelier d’écriture. J’expliquerai comment on travaille, pourquoi on peut rejoindre l’atelier même si on pense que l’on ne saura pas faire, ceux qui le veulent liront leurs textes. Un article est envoyé à la presse agricole. Je crois que l’enthousiasme et le plaisir exprimés par les participants de la première heure lors de cette rencontre seront les arguments les plus convaincants de tous. À la rentrée de septembre, l’atelier reprend à dix. Après la phase de curiosité, la dimension collective du projet intéresse de plus en plus… »

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