Interviews


Écriture à bord – golfe du Morbihan (France)
Année 2003
© JMR Bancharelle

Françoise Sylvestre – Réemprunter les chemins de la liberté
propos recueillis par Isaure Dehaye

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D’où vous vient votre amour de l’aventure et des îles, que vous avez tant parcourues ?
…Et que je parcours toujours, l’âme et le regard en éveil. Que ce soit à bord d’un voilier, d’un ferry, d’un cargo, d’un kayak, d’un chalutier ou d’un bateau scientifique. Le rêve insulaire – car il s’agit bien de cela – a pris naissance dès ma petite enfance, au cours de voyages et vacances en famille à l’île d’Oléron. Il m’a en outre été offert en héritage. Mon grand-père paternel, que je n’ai pas connu, participait dans le Grand Nord aux premières missions de météorologie. On découvrait l’existence de la stratosphère. Et, à la maison, on parlait de lui comme d’un héros. Alors, à moins d’avoir le bleu et la mer en horreur, un début dans la vie de cette sorte tisse une belle toile de fond pour une inclination insulaire. Je n’ai eu de cesse ensuite, au fil des ans et des voyages, de la développer. De Belle-Île à Kerguelen, en passant par le Cap-Vert, la Réunion, la Nouvelle-Zélande, avec de multiples détours par Svalbard, les Lofoten, Rømø, les Caraïbes, la Corse, les Cyclades, les Shetland ou les Hébrides, j’ai mille fois fait des îles mes ports d’attache. Au point d’avoir choisi d’y vivre.

Qu’est-ce qui fait de Stevenson un personnage à part ?
À part ? Vous voulez dire unique. Il l’est. Fils unique dans une famille bourgeoise, une dynastie de bâtisseurs de phares d’Édimbourg, il s’est très vite rebellé contre les conventions. Et, bien que diplômé de génie civil puis de droit, il a tenu tête à son père et décliné sans ambages l’invitation à embrasser la carrière toute tracée à ce qui est l’équivalent en Écosse du service des Phares et Balises en France. Il a choisi délibérément d’être écrivain. Il n’a jamais dérogé à ce choix. Et c’est sans doute cette détermination infaillible qui m’a attirée irrésistiblement vers lui. Il incarne selon moi le modèle du héros qui jamais ne s’éloigne du cap qu’il s’est lui-même fixé, de la route qu’il a lui-même tracée, et qui fait preuve en toutes circonstances d’abnégation, qui s’engage et se bat pour défendre sa liberté et celle des peuples opprimés. L’autre particularité du « personnage » de Stevenson est qu’il est avant l’heure un écrivain-voyageur, à la recherche permanente de l’aventure, sur les chemins ou sur les mers. Vivre l’exception était pour lui une nécessité. Avec toujours ce désir de communiquer sa passion à travers ses récits, ses romans et tous ses écrits.

Qu’est-ce qu’il représente pour vous, auteur et amatrice d’aventures comme lui ?
Ce serait facile de vous répondre qu’il est un « modèle ». Il l’est, mais sans que j’en ai eu la moindre conscience. Comme lui, très jeune, je rêvais de bateaux, de mer, de voyages, d’îles. Comme lui, très jeune, je rêvais d’écrire. Comme lui surtout, très jeune, je rêvais de partir, loin, à l’aventure. L’esprit de liberté me taraudait, m’obsédait. C’est tardivement que j’ai découvert Stevenson. À son image, lorsque je me penche sur un sujet littéraire ou sur un personnage, je me passionne, je m’attache à le mener à bien, sans limites. Cependant, à défaut d’être précisément mon « modèle », je le ressens en quelque sorte comme mon double et ma part manquante. Je serais tentée de vous dire qu’il est un peu comme un jumeau. Et je sais ce que cela signifie, car je suis moi-même jumelle… En fait, j’aurais aimé être Robert Louis Stevenson, ou être sa compagne de route, vivre à la fin du XIXe siècle, à l’époque de la découverte du monde en bateau et par le chemin de fer. Lorsque tout semblait possible sans être irrémédiable…

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le projet artistique que vous avez mené dans le phare Stevenson où vous avez séjourné dans les Shetland ?
J’étais en voyage aux Shetland. C’était l’été, avec son lot ininterrompu de bourrasques de vent et de giboulées de grêle. Chaque jour, j’embarquais sur un ferry qui assurait la liaison entre Lerwick et l’île de Bressay. Les marins s’étonnaient. Mais que vient-elle donc faire ici ? Marcher jusqu’au détroit de Noss où passent phoques et fous de Bassan. Flâner sur les grèves du nord en quête de lumière. Prendre vers le sud la longue route qui mène jusqu’à un phare et découvrir qu’il a pu, édifié par le père et l’oncle de Stevenson, inspirer L’Île au trésor. Éprouver le désir de revenir un jour y écrire. Lancer, comme une bouteille à la mer auprès d’artistes, l’idée instinctive d’y séjourner en résidence de création. Ce projet a pris forme. Nous sommes restés dans le phare le temps de quelques mots, d’autant de déclics photographiques et de coups de pinceau. Au moment du solstice d’été, lorsqu’il fait jour vingt-quatre heures sur vingt-quatre, puis au moment du solstice d’hiver, lorsque la nuit n’en finit pas d’être la nuit. Nous avons réalisé chacun un carnet d’artiste, les avons rassemblés dans un coffret, Le Phare des solstices, primé au Salon international du livre insulaire à Ouessant. Quelle belle aventure !

Quel est votre roman d’aventure préféré ? Votre récit de voyage ?
Sans omettre de citer notamment toute l’œuvre de Riel au Groenland, les Aventures aux Kerguelen de Rallier du Baty, L’Odyssée de l’« Endurance » de Shackleton,le récit Damien autour du monde, L’Usage du monde de Bouvier ou l’Éloge de l’énergie vagabonde de Tesson, il est un récit sans prétention qui m’a marquée plus que tout autre. C’est Robinson des mers du Sud de Tom Neale. Il raconte les six années que cet aventurier solitaire, qui vécut plus de vingt ans sur l’île déserte de Suvarov dans le Pacifique, a passé à aménager son îlot de corail. Il s’y installe à cinquante ans et y meurt en 1977. Dans Tamata et l’alliance, le navigateur épris de liberté qu’était Moitessier n’hésite pas à écrire que « Tom est l’âme de Suvarov ». En conclusion, j’aimerais ajouter que ce n’est pas pour rien que j’ai choisi d’intituler Robert Louis Stevenson, Les chemins de la liberté ma biographie de l’écrivain.
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