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Le Tro Breiz, un chemin de Compostelle breton ?
par Gaële de La Brosse
le jeudi 15 mars 2007 à 20 heures 30


Le Tro Breiz, ou « Tour de Bretagne », désigne le pèlerinage circulaire qui consiste à visiter les Sept Saints bretons en leurs évêchés : Corentin à Quimper, Paul Aurélien à Saint-Pol-de-Léon, Tugdual à Tréguier, Brieuc à Saint-Brieuc, Malo à Saint-Malo, Samson à Dol-de-Bretagne, Patern à Vannes. Cinq d’entre eux sont des moines venus du pays de Galles entre les Ve et VIIe siècles : apportant leurs coutumes et leurs croyances, ils ont abreuvé l’Armorique à la source du christianisme celtique qui les habitait.
Suivant les voies romaines, se recueillant dans le silence des chapelles ou auprès des fontaines sacrées, le pèlerin effectuait ce trajet d’environ 600 kilomètres en un mois. Les anciens statuts du chapitre de la cathédrale de Rennes plaçaient ce pèlerinage au même rang que les voyages de dévotion faits à Rome, Jérusalem ou Compostelle, et un vieux dicton breton affirmait que pour entrer au Paradis, il fallait avoir fait au moins une fois le Tro Breiz.
L’histoire de ce pèlerinage suscite aujourd’hui des débats passionnés. Certains historiens le font remonter à l’époque du roi Nominoé qui, établissant une métropole ecclésiastique à Dol-de-Bretagne, parvint à s’affranchir de l’Église de Tours et à gagner ainsi son indépendance vis-à-vis du pouvoir carolingien. Il apparaît plus sûrement que, si le culte collectif des Sept Saints remonte sans doute au XIe siècle, le pèlerinage aurait été effectivement pratiqué du XIIIe au XVe siècle, notamment aux quatre temporaux (Pâques, la Pentecôte, la Saint-Michel et Noël). Freiné par les guerres de la Ligue au XVIe siècle puis supplanté par de nouvelles dévotions, il fut remis à l’honneur par quelques historiens à la fin du XIXe siècle. Mais il fallut attendre un siècle pour assister à sa renaissance – et celle-ci fut spectaculaire : depuis 1994, le Tro Breiz est à nouveau pratiqué de manière collective, suscitant un enthousiasme qui ne se dément pas. De nombreux bénévoles se mobilisent pour équiper et baliser l’itinéraire, afin de faciliter l’accès aux marcheurs qui découvrent avec bonheur l’originalité de ce pèlerinage. Un succès qui en fait une alternative aux chemins de Compostelle, un « Compostelle breton ».


Durant l’été 1996, Gaële de La Brosse, accompagnée de Jean-Yves Guéguéniat, Didier Labouche et deux de ses enfants, Olivier et Victor (5 et 6 ans), a accompli le Tro Breiz avec deux ânes : l’un bâté, l’autre tractant une carriole. Les trois adultes avaient déjà souvent cheminé ensemble ; les chemins de Saint-Jacques furent leur école commune. En tant que Bretons, ils avaient décidé de se retrouver pour une pérégrination « à domicile ». Pour élaborer leur itinéraire, ils ont suivi les récits des pèlerins et des chercheurs qui, au siècle passé, tentèrent de retrouver les traces du chemin présumé historique. Aux sentiers de randonnée, ils ont préféré les humbles routes de campagne. Leur attelage n’était pas la seule raison de ce choix : pendant ces longues distances sur le bitume, ils ont découvert le charme des petits axes abandonnés des automobilistes pressés. Quelques moments d’amitié mémorables jalonneront leur route : à l’abbaye de Boquen, à la cathédrale de Saint-Brieuc, ou encore, sur les hauteurs du Méné, à la « Hutte à l’Anguille » où – au grand plaisir des enfants – leur hôte ressuscita le souvenir d’un mystérieux détrousseur de voyageurs qui aurait enterré dans les environs ses malheureuses victimes. Au fur et à mesure de leur progression, les trois amis approfondissent le sens de leur pèlerinage. Malgré leurs rencontres, ils savent que le pèlerin est toujours un passant. Les enfants l’apprennent aussi, peu à peu. Ils se font des amis, à la halte, pour les voir ensuite disparaître à l’horizon. Après avoir reçu, donné, échangé. L’itinérance fait du pèlerin un « étranger » : tel est la signification du mot peregrinus. Et même si les marcheurs foulent des routes connues, dans un paysage qui leur est familier, même s’ils retrouvent çà et là de vieux amis, ils profitent de ce voyage pour s’abstraire de leur vie quotidienne et revenir à l’essentiel. C’est également la raison pour laquelle ils s’arrêtent peu dans les villes et villages traversés. Le pèlerin du Tro Breiz trouve d’ailleurs d’autres relais : fontaines et ruisseaux, églises et oratoires souvent dédiés aux protecteurs de la route : saint Jacques le Majeur, saint Roch, saint Georges, saint Julien.
Au crépuscule, lorsque la halte s’impose, ils préfèrent aux campings et aux gîtes la sérénité de la campagne bretonne. Auprès d’une chapelle ou d’une rivière, ils plantent leur tente ou dorment sous la voûte céleste, confiant leurs pensées à ces amas d’étoiles nommés en Bretagne « les pas de Saint-Jacques ». Au terme de 620 km, ils reviennent à Saint-Pol-de-Léon, qu’ils ont quittée un mois auparavant : ils ont « bouclé la boucle » et circonscrit une région qu’ils ont redécouverte à la faveur de leurs pas. En suivant la course du soleil, de l’Orient vers l’Occident puis de l’Occident vers l’Orient : de la naissance à la mort, et de la mort à la renaissance.




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Livre de l’intervenante en rapport avec cette conférence :
Tro Breiz, les chemins du Paradis, Pèlerinage des Sept Saints de Bretagne


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